Association ACCOMPLIR 49, rue Saint-Denis 75001 Paris – www.accomplir.asso.fr – 01 40 28 06 21
Contribution de l’Association ACCOMPLIR
à l’élaboration du Programme d’urbanisme du projet de
rénovation des Halles Etape 2 – Octobre 2003
En juillet 2003, après avoir organisé quatre réunions
publiques thématiques ouvertes à tous les habitants, et plusieurs séances
de travail interne, l’association ACCOMPLIR a diffusé largement une
série de 90 propositions pour le projet de rénovation des Halles.
Ces initiatives prises pour lancer la concertation publique
dès l’annonce du projet ont porté leurs fruits et ont rencontré l’ouverture
d’esprit de la SEM Paris-Centre : les associations du quartier
et le conseil de quartier des Halles ont été invités par la SEM à trois
réunions successives de présentation des équipes de concepteurs et
de débat sur leurs premières réflexions ; un site web va être
ouvert par la SEM dans les premiers jours de novembre, et un forum électronique
permettra aux habitants de poser leurs questions. Cet effort de concertation,
commencé dès le lancement du projet, tranche avec les procédés autoritaires
et opaques qui avaient été employés il y a trente ans et avaient abouti à des
conflits violents.
Cette première phase de la concertation
va se terminer avec la rédaction d’un Programme d’urbanisme qui, à partir
de toutes les réflexions qui ont été menées à la fois par les équipes
de concepteurs, par la SEM, par la Mairie de Paris, par les services
de la Ville et par les associations, va définir de façon plus précise
ce qui est attendu du projet, et les contraintes qu’il doit respecter.
Grâce à l’effort de transparence et
de concertation de la SEM, nous avons pu avoir accès à des présentations
des premiers travaux préparatoires des équipes de concepteurs. Pour
contribuer à la préparation du Programme d’urbanisme, nous voudrions,
dans le présent document,
-
réagir aux premières hypothèses présentées
par les concepteurs, en distinguant
·
ce qui nous manque.
·
ce qui nous plaît
·
ce qui nous inquiète
-
proposer notre propre « vision » de
ce projet, d’un point de vue global et synthétique par rapport à l’énoncé de
nos 90 propositions, dont nous continuons d’espérer qu’elles seront prises
en compte dans le Programme d’urbanisme.
1) Nos réactions aux
premières hypothèses présentées par les concepteurs
Ce qui nous manque
Nous sommes déçus de
ne pas avoir trouvé dans cette première phase plus de réflexions sur
les usages et les fonctions du quartier. Construire ou aménager, d’accord ;
mais pour qui ? pour quoi faire ?
Nous aurions aimé des
réflexions innovantes voire utopiques sur les modes de vie, plutôt
que seulement sur les options architecturales ou de décoration.
Nous sommes également
déçus que la plupart des concepteurs se soient focalisés sur le Forum,
et qu’ils aient fait si peu de propositions pour le reste du périmètre.
Ce qui nous plaît
-
l’accent mis sur le fait que notre
quartier peut se définir comme un « carrefour humain » ;
-
la suppression d’une partie des voies
routières souterraines et de certains accès en trémie pour réduire la pression automobile et requalifier l’espace
public en surface. Nous suggérons également de « traiter » les
trémies restantes en inversant le rapport de force actuel : jusqu’ici,
tout a été fait pour canaliser les piétons et laisser toute la place
aux voitures ; on peut remodeler beaucoup de choses en suivant la
priorité inverse, canaliser les voitures et les obliger à céder le pas
devant les piétons (feux tricolores à la sortie immédiate des trémies
pour éviter aux piétons de grands détours, revêtements rugueux obligeant
les véhicules à prendre conscience qu’ils sont dans un secteur à priorité piéton
et à ralentir…)
-
l’accès à la voirie souterraine par
le sud de la rue du Pont-Neuf, qui permettrait de traiter en sous-sol les livraisons
des commerces de la rue de Rivoli et de la Samaritaine ;
-
la création d’une très grande gare
souterraine, bien dimensionnée
pour accueillir le trafic actuel et futur ;
-
le fait de redonner un volume spatial
conséquent à la salle d’échange en créant une relation visuelle avec
les quais et en regroupant les surfaces de bureaux ou de locaux techniques
qui sont actuellement situées dans la salle sur les parkings latéraux ;
-
la création de nouveaux accès au pôle
d’échange, par exemple à l’angle
rue des Halles / rue Saint-Denis / rue de Rivoli, repéré comme le centre
de gravité des gares souterraines, ou à la porte Berger, avec un accès
direct vers la salle d’échange, ce qui devrait améliorer la sécurité mais
aussi faciliter la représentation spatiale ;
-
l’apport de la lumière du jour dans
la salle d’échange en ouvrant
la place Basse ;
-
l’aplanissement du jardin et la suppression
de la « bosse Montorgueil » ;
-
l’accolement d’un immeuble fin à la
centrale thermique, rue de
Turbigo ;
-
la rénovation des pavillons Willerwal et
une meilleure adaptation des locaux aux équipements collectifs qu’ils
abritent ;
-
pour la réalisation des travaux, le fait
de considérer le chantier comme un projet en soi ; le concept
de « micro-projets successifs » et de « chantiers
en gants blancs ».
Ce qui nous inquiète
-
les projets des concepteurs sur le
jardin : nous sommes très
attachés à la configuration générale actuelle du Jardin, horizontal,
non minéral mais planté d’arbres et de pelouses, continu et non morcelé,
non constructible. Nous voudrions qu’il reste un endroit tranquille conciliant
les zones de repos et les zones de circulation piétonne ; qu’il
reste dédié à la gratuité et qu’il ne soit pas perturbé par des trouées
ouvrant sur l’activité du sous-sol (autres que les portes actuelles du
Forum, qui en revanche pourront être repensées). Nous ne voulons pas
d’un parc habité, où des pavillons boucheraient la vue, même s’ils étaient
surmontés de terrasses végétales, ni d’une vaste aire pouvant accueillir
des spectacles à ciel ouvert, ni de végétalisation verticale si elle
prétend remplacer des mètres carrés de jardin au sol.
-
la volonté de rompre la séparation « dessus-dessous », si elle doit conduire à déverser dans le jardin l’agitation
bruyante du centre commercial : pour beaucoup de résidents mais
aussi de personnes travaillant dans le quartier, le jardin offre un havre
de paix vital ; dans certains cas il faut savoir ouvrir les espaces,
dans d’autres cas les protéger ;
-
la suggestion de surélever l’ensemble
du jardin sous la forme d’un « podium » : le jardin a aussi une fonction de communication et
de transit piéton nord-sud et est-ouest ; s’il est surélevé,
on étend à l’ensemble du jardin le problème rencontré avec la « bosse
Montorgueil » ;
-
les projets de construction de tour
ou d’immeuble de grande hauteur : nous n’en voulons ni dans le jardin, ni en bordure du
jardin, ni à la place des pavillons Willerval. La tendance urbaine actuelle
est à la re-densification des villes, et les architectes ont toujours
envie de laisser une trace (très) visible de leur œuvre dans la ville.
Mais notre quartier est suffisamment dense comme cela. Le Forum draine
une foule énorme, la salle d’échange est à la limite de la saturation,
même la circulation piétonne en surface est difficile à certaines heures,
rue Berger ou rue Lescot par exemple. Ce ne serait pas raisonnable d’augmenter
fortement les surfaces commerciales, que ce soit sous forme de magasins
ou de bureaux : nous allons étouffer ! En revanche, cela paraît
normal de remplacer les pavillons Willerwal, qui sont en très mauvais état
et ne sont pas fonctionnels. Mais nous demandons que toutes les futures
constructions respectent les règles d’urbanisme en vigueur à Paris, qu’il
s’agisse des règles de densité, de gabarit, ou de hauteur des immeubles.
-
les projets de travaux inutiles ou
faiblement utiles ; en particulier, nous ne voyons aucun intérêt à déplacer
la piscine, le gymnase ou le Forum des Images pour les reconstruire cent
mètres plus loin. Le mélange entre équipements culturels et commerces
nous paraît harmonieux ; il ressemble à la vie et nous convient
parfaitement. Nous préférerions que les investissements soient réservés à des
choses plus utiles, dont nous avons proposé une liste déjà très conséquente
dans nos 90 propositions ;
-
Le rapport souligne la triple vocation
du site : locale, parisienne et régionale. C’est incontestable,
mais il ne faut pas oublier que le site en question est malgré tout minuscule,
et qu’on ne peut en aucun cas le traiter comme s’il était susceptible
de devenir le « centre-ville » de Paris. Dans une capitale
telle que Paris, il y a nécessairement plusieurs centres-villes. Ce qui
caractérise ce « centre ville parmi d’autres » que sont les
Halles (en surface), c’est justement une dimension relativement modérée,
sans élément d’architecture écrasant, mais au contraire avec un jardin
sans prétention mais facile à vivre, et des courbes douces et accueillantes
qui en font (au moins pour certaines zones) un nid, une place de village,
un endroit où on aime se donner rendez-vous ; ce n’est pas un lieu
de rassemblement de masse comme la place de l’Hôtel de Ville, mais plutôt
un lieu de rencontres ; bref, un lieu à taille humaine, totalement
différent d’espaces beaucoup plus vastes ou plus ouverts, comme la Concorde,
les Champs-Elysées ou encore la Bastille. C’est en quoi la notion d’hospitalité, utilisée
par l’un des concepteurs, nous paraît particulièrement heureuse. Mais
cette dimension humaine des Halles est fragile : si on accroît encore
la densité de la foule qui le traverse, en augmentant trop les surfaces
commerciales (commerces ou bureaux), en implantant dans le quartier de
nouveaux équipements à grand public, en projetant d’y organiser des manifestations
de masse, on court le risque de déshumaniser le quartier et de l’asphyxier.
Grâce au RER, ce quartier est la principale porte d’entrée à Paris ;
pour qu’il reste hospitalier, il faut gérer mieux les flux qui le traversent,
et ne pas les augmenter inconsidérément.
-
Certaines équipes proposent d’étendre
encore le domaine piétonnier : nous y sommes favorables… à condition qu’on
s’assure auparavant du bon fonctionnement du domaine piétonnier existant.
Les propositions sur le mode de fermeture du quartier piétonnier, sur
le système de livraisons par le sous-sol, sur la limitation de l’extension
des terrasses, sur la restitution de trottoirs dans les rues piétonnes
et de revêtements adaptés restent très discrètes et incomplètes. Or la
réussite même du projet nous paraît reposer sur un critère clef :
la mise en place d’un système de circulation et de livraison cohérent
et durable dans le quartier piétonnier.
2) Notre propre « vision » du
projet
Nous sommes heureux
que notre quartier fasse l’objet d’un projet d’aménagement urbain ambitieux,
mais nous voudrions préciser sur quoi doit porter cette ambition pour
nous.
L’époque des grands
projets où l’on faisait table rase de quartiers entiers et où l’on
perturbait gravement les équilibres existants pour accomplir des « gestes
architecturaux » nous semble appartenir au passé.
Un quartier comme les
Halles, par sa complexité, sa densité, le nombre incroyable des interactions
qu’il comprend, est un véritable écosystème qui, pour l’essentiel,
fonctionne bien, même s’il souffre de quelques déséquilibres.
L’ambition que nous
proposons aux concepteurs, c’est d’intervenir sur ce quartier avec
le soin et la délicatesse que requiert un écosystème fragile, et
de se contenter de restaurer les équilibres qui ont été perdus et n’ont
pas pu être compensés par les ressources propres de cet écosystème.
Pour cela, il faut,
comme dans un écosystème, commencer par analyser les différentes fonctions
avant de proposer des interventions, et privilégier une accumulation
de petites interventions correctrices, plutôt que des interventions
majeures qui risquent de provoquer encore plus de déséquilibres.
De même que dans un écosystème,
les échanges et les circulations de matière sont fondamentaux, la clef
de voûte de ce projet nous semble être la mise en place d’un système
de circulation et de livraison cohérent et durable dans le quartier
piétonnier. Tant qu’on ne se sera pas attelé à cette question fondamentale,
tous les projets de construction, de destruction ou d’aménagement resteront
relativement futiles. C’est pourquoi le programme d’urbanisme nous
paraît devoir ménager une place centrale à cet aspect du projet, et
notamment à la question de savoir comment mettre en place des livraisons
par voie ferrée, des lieux de stockage, une distribution en surface
grâce à des véhicules non polluants et d’un gabarit adapté aux rues,
etc. On nous répond que la RATP ne sait pas gérer du fret, et que les
heures de fermeture du réseau sont employées à l’entretien et à la
maintenance, mais à l’occasion des championnats du monde d'athlétisme,
la RATP a réussi à intercaler des trains spéciaux transportant les
sportifs entre les rames normales, et ça n'a posé aucun problème ;
pourquoi ne pas ajouter des quais de livraison de marchandises à chargement
et déchargement rapide de part et d’autres de la série des quais de
voyageurs ? Une question cruciale est de savoir comment organiser
un système qui puisse convenir à la fois aux grandes enseignes du Forum
et du quartier, mais aussi aux petits magasins qui se font livrer une
palette à la fois par d’énormes camions : quel dispositif matériel
suffisamment attractif et quelles incitations mettre en place ?
De même que dans un écosystème,
les différentes fonctions de la vie doivent trouver leur place et s’équilibrer
harmonieusement, de même, les concepteurs du projet doivent veiller à ce
que les différentes fonctions et usages s’équilibrent, et à ne pas
rajouter continuellement « du même au même », en l’occurrence
des surfaces commerciales aux surfaces commerciales. Ce quartier
est un immense centre commercial, dans lequel les habitants et les
usagers développent malgré tout des activités non marchandes et des
relations conviviales, grâce aux équipements collectifs du quartier,
mais aussi grâce aux espaces de gratuité qu’il comprend. Si on les
perd en grignotant l’espace gratuit au bénéfice de l’espace marchand,
ce qui fait l’âme et la vie de ce quartier disparaîtra et même les
activités commerciales en souffriront. L’équilibre financier et économique
de l’opération doit être recherché, mais le quartier contribue déjà massivement à la
création de richesses économiques et d’emplois ; il mérite
des investissements destinés à renforcer son attractivité ; il
ne mérite pas des investissements qui finiraient par « tuer la
poule aux œufs d’or ».
De même que dans un écosystème,
chacun doit pouvoir trouver sa place en équilibre avec les autres,
de même nous souhaitons que l’ambition du programme d’urbanisme soit
non pas d’évincer certaines parties de la population au bénéfice d’autres,
mais au contraire d’accueillir tout le monde et de renforcer et
de protéger la mixité sociale qui caractérise encore ce quartier. En ce qui nous concerne,
nous sommes décidés à participer de manière positive à la concertation
jusqu’au terme du processus, non seulement en tant que riverains directement
intéressés à la forme que prendra le projet, mais aussi comme citoyens
soucieux de contribuer à ce que notre quartier évolue dans le sens
du développement durable, et ce pour le bénéfice de l’ensemble des
Parisiens et des usagers ou visiteurs du site.
Nous nous félicitons
que la SEM soit entrée dans cette démarche constructive d’échange,
de transparence et de concertation, conformément aux intentions qui
avaient été annoncées par le candidat Bertrand Delanoë lors de la campagne
des municipales. |