Compte rendu d’un entretien
avec Yves Contassot
(01/09/03)
Yves Contassot est Adjoint au Maire de Paris, chargé de
l’environnement, de la propreté, des espaces Verts et du traitement des
déchets. Suite à la diffusion de nos 90 propositions sur la rénovation des
Halles, il a demandé à nous rencontrer ; Elisabeth et Gilles ont pris
rendez-vous avec lui le 01/09/03. Voici la synthèse de cet entretien, qu’il a
relue et validée.
La politique de la mairie de Paris est d’accroître de 30 hectares les espaces verts parisiens d’ici 2007 ; dans ce contexte, il est hors de question de réduire la surface du jardin des Halles, et il faudra même essayer de l’agrandir.
Une question stratégique à cet égard est celle du comptage des mètres carrés « verts ». Par exemple, selon Y. Contassot, il faut exclure du comptage la végétalisation verticale (par exemple, du lierre sur un mur), la végétalisation en sous-sol, ou encore la végétalisation trop morcelée (grands bacs à fleurs, plates-bandes isolées…). Les arbres plantés sur un sol minéral (type place des Innocents) ne sont pas non plus comptés en espace vert.
Il faut savoir également qu’un terrain de sport inclus dans un jardin ne sera pas nécessairement compté dans l’espace vert, ce qui paraît logique. En règle générale, les gens ont toujours beaucoup d’idées d’équipements à implanter dans les jardins, et si on additionnait tous les équipements qu’ils demandent, il n’y aurait parfois plus du tout de place pour l’espace vert… Les associations doivent réfléchir à cet aspect et veiller à ne pas formuler des demandes contradictoires du type « un jardin plus grand et plus d’équipements qui minéralisent le jardin ».
En revanche, à l’intérieur d’un espace vert comme le jardin des Halles, les mètres carrés correspondant aux allées sont comptés comme faisant partie de l’espace vert ; les mètres carrés verts « réels » représentent environ un quart des 40.000 m² que comprend le Jardin des Halles au total.
Si un espace de spectacle à ciel ouvert était créé dans le Jardin, l’espace correspondant ne serait pas compté comme espace vert. D’après Y. Contassot, organiser de façon régulière des grands spectacles dans un jardin est un non-sens ; on peut envisager d’organiser des animations de temps en temps, mais ce sont les animations qui doivent s’adapter au jardin et à ses dimensions, et non le jardin s’adapter aux fêtes qu’on veut y organiser.
L’arbitrage entre les différents équipements possibles devra se faire en fonction de l’usage attendu des divers équipements demandés, de la taille de leur emprise, de l’existence d’équipements comparables et donc redondants à proximité, des nuisances occasionnées, du coût d’installation mais aussi d’entretien, qui pour certains équipements peut être très élevé.
En ce qui concerne l’installation d’une rampe de roller, il faut réfléchir en amont à la façon dont cet équipement pourrait être utilisé : si on ne prévoit rien, il y a un risque important de « guerre des gangs » : certains voudront s’accaparer l’équipement. Il faudrait envisager la création d’une association, formelle ou informelle, capable de gérer le partage de cet équipement.
Pour ce qui est des tables de jeu, on pourrait envisager des tables « multi-jeux » : le piètement est fixe, en revanche le plateau est escamotable ou interchangeable avec d’autres plateaux. La gestion de ces équipements peut nécessiter de créer des emplois, éventuellement dans le cadre d’associations de réinsertion.
Y. Contassot souhaite vivement que soit réservé dans ce jardin un espace pour un futur « jardin partagé » : il s’agit généralement d’un jardin potager fermé, cultivé par une association de réinsertion ; il nous renvoie par exemple au jardin « Papilles et papillons » qui a été créé dans le 20ème arrondissement, dans la ZAC des Amandiers. Même si ce jardin n’était pas créé immédiatement, il faudrait qu’il soit prévu dans le projet en termes de fermeture, d’accès, de possibilité d’arrosage, etc.
Il faut bien comprendre cependant que le projet ne concerne pas que les gens du quartier. La concertation a commencé avec les riverains, mais il faudrait aussi interroger les usagers du site qui viennent de tout Paris et aussi de la banlieue, même si c’est naturellement beaucoup plus délicat à organiser.
Le jardin des Halles assure deux fonctions principales : la fonction de détente et de loisir pour des personnes qui vivent et/ou qui travaillent sur place, et la fonction de transit, qui pourrait être améliorée. Par exemple, il est dommage qu’entre Beaubourg et le Louvre, les touristes empruntent systématiquement la rue de Rivoli ; il vaudrait beaucoup mieux qu’ils passent par le jardin et rejoignent le Palais Royal ; pour cela, il faut mettre en valeur ce cheminement alternatif.
On peut déplorer que l’allée Saint-John Perse soit « boulevardisée », mais il est important qu’il existe des axes de circulation nord et sud et est-ouest commodes, qui permettent de préserver la tranquillité du reste du jardin. Sachant que 300.000 personnes sortent chaque jour du RER vers le quartier, si on ne s’occupe pas de la question du transit, on va forcément provoquer des conflits d’usages.
La suggestion de créer une piste cyclable tout autour du jardin, pour éviter que les deux roues motorisées et non-motorisées le traversent, lui paraît irréaliste en ce qui concerne les vélos : les cyclistes considèrent qu’ils utilisent un moyen de locomotion non polluant, et non dangereux à condition de faire attention ; ils ne comprendraient pas pourquoi on leur interdirait de traverser le jardin si une allée a été prévue à cet effet. En revanche, les deux roues motorisés doivent être écartés de façon stricte : ils n’ont rien à faire dans un quartier piétonnier. Il semble qu’à l’heure actuelle, la police ne soit pas suffisamment sévère sur ce point, mais la situation est tellement floue qu’on peut comprendre qu’elle ait du mal à faire respecter le règlement. L’un des enjeux de la rénovation sera de clarifier ces règles.
La serre tropicale ne répond pas aux critères du développement durable : quel sens cela a-t-il de maintenir à grands frais d’électricité et d’eau ce jardin fermé et relativement peu visible ? De plus il constitue l’un des obstacles qui rendent la traversée du jardin difficile.
Des rumeurs ont couru sur la possibilité de construire une tour dans le jardin ; Y. Contassot y est personnellement totalement opposé : cela défigurerait non seulement le jardin, mais tout le cœur de Paris ; de toute façon c’est inenvisageable : on ne peut pas monter au-delà de 7 étages au-dessus du sol sans modification importante des règlements actuels d’urbanisme.
A propos des possibilités de fermeture du jardin : on ne peut pas envisager de laisser tout ouvert, ni de tout fermer. Par exemple, les squares d’enfants doivent à l’évidence être fermés, pour des raisons de sécurité. En revanche, il serait aberrant de fermer totalement ce jardin, alors qu’il a une fonction de transit dans ce quartier. Il faut donc étudier le problème pour chaque partie du jardin, et remédier à la situation actuelle, qui est incompréhensible : on ne sait pas pourquoi certaines pelouses sont ouvertes, d’autres fermées, etc. A noter qu’on peut envisager des fermetures végétales (« sauts-de-loup », ou petites haies d’arbustes piquants…), plutôt que les classiques grilles, très rébarbatives. Ce type de fermeture végétale a été utilisé par exemple dans le jardin André Citroën.
Y. Contassot n’est pas opposé à la réalisation d’un espace vert sur la place des Innocents, qui manque un peu de verdure ; en revanche, il ne voit pas l’intérêt de reconstituer le square entouré de grilles qui avait été créé à cet endroit au XIXème siècle, comme le souhaiterait J.-F. Legaret, maire du 1er. Les jardins fermés sur eux-mêmes et purement décoratifs ne correspondent plus à ce qu’attendent les gens aujourd’hui : il faut concevoir des lieux ouverts sur la ville, où l’on puisse facilement venir se reposer et se détendre.
Y. Contassot a le projet de faire évaluer le statut et les compétences des gardiens de jardin, qui sont difficiles à recruter, entre autres parce qu’ils sont payés au même tarif que les gardiens de musée, alors qu’ils travaillent dehors et que leur tâche est beaucoup plus difficile. Ces gardiens devraient être formés à l’accueil, être capables de donner des informations sur le jardin, mais aussi de jouer un rôle de médiation sociale.
A propos de la place des SDF dans le quartier : Y. Contassot n’est pas convaincu qu’il y ait plus de SDF dans ce quartier qu’ailleurs ; dans le quartier de la République, par exemple, il y en a également beaucoup. Si ceux des Halles attirent plus l’attention, c’est simplement… parce que tout le monde va aux Halles, et ne va pas forcément dans les autres quartiers de Paris.
L’idée qu’en supprimant les centres d’accueil et de secours aux SDF, on les fera aller ailleurs lui paraît stupide, de même que le fait d’enlever les bancs ou de les remplacer par des bancs où les SDF sont censés ne pas pouvoir se coucher, comme dans le métro : s’ils ne trouvent rien d’autre, ils se couchent par terre, mais ce n’est pas de cette façon qu’on peut les empêcher de venir dans un quartier ; et en les empêchant de venir dans un quartier, on ne résout de toute façon pas le problème, auquel il faut apporter une réponse sociale, et non une réponse d’aménagement urbain.
Y. Contassot est très favorable au retour des bancs, à condition de déterminer très exactement le nombre qu’il faut : ni trop, ni trop peu. Il note à cet égard qu’il faut réfléchir précisément non seulement à l’endroit où on les implante, mais au sens dans lequel on les tourne : dans certains jardins, les bancs ne sont pas utilisés par les parents parce qu’ils sont tournés du mauvais côté par rapport aux pelouses sur lesquelles les enfants jouent.
Il faut aussi réfléchir à l’usage qui en sera fait, et si, comme c’est le cas bien souvent, les bancs servent à pique-niquer, il faut installer des poubelles non pas à dix ou vingt mètres du banc, mais à son extrémité.
Y. Contassot préconise aussi d’installer des bancs face à face, qui permettent davantage de convivialité, plutôt que de les implanter systématiquement éloignés les uns des autres comme c’est souvent le cas. Il souligne qu’après des années de repli de chacun sur soi, les gens manifestent l’envie d’être dans la rue, de partager des choses ensemble, comme en témoignent les pique-nique de quartier ou encore le succès des Bachiques Bouzouks. Il faut tenir compte de cette évolution, et le retour des bancs publics dans les rues va dans ce sens.
En tant qu’élu Vert, Y. Contassot ne s’intéresse pas seulement aux questions d’espaces verts, mais aussi aux aspects concernant les transports. La suggestion de fermer certaines des trémies doit être étudiée avec précaution : si la fermeture de la voirie souterraine entraîne la remontée de la circulation en surface et des bouchons supplémentaires dans les carrefours déjà chargés, ce ne sera pas forcément un gain. C’est pourquoi une étude est actuellement menée pour déterminer quelles sont la nature, l’origine et la destination des véhicules qui empruntent la voirie souterraine.
La perspective d’organiser des livraisons la nuit via le réseau SNCF et RATP est intéressante, mais cela pose des problèmes car la SNCF et la RATP ont pour principe de ne fermer les lignes qu’à titre exceptionnel, et d’effectuer les opérations de maintenance de ce réseau pendant la nuit ; à New York, la politique est différente : le métro marche toute la nuit, mais une ligne peut être fermée trois semaines d’affilée pour entretien.
Enfin, pour un développement durable, il faut veiller à ce que ce quartier ne soit pas livré entièrement au commerce. Par exemple, il semble qu’Espace Expansion soit réticent à voir les passagers de la RATP sortir directement dans la rue au lieu de traverser tout le centre commercial ; il ne faut pas que ces préoccupations commerciales aillent à l’encontre de la sécurité des voyageurs, et aussi de leur liberté : pourquoi devrait-on être forcément obligé de traverser un espace commercial quand on entre à Paris par la gare des Halles ?