Libération (16/12/04)
Paris. Le maire de Paris a annoncé hier qu'il
confiait à David Mangin une
mission d'études, avant de relancer un concours d'architectes.
Le non-choix de Delanoë pour les Halles
Par Sibylle VINCENDON
jeudi 16 décembre 2004
La foule des grands jours. Quinze chaînes de télévision,
la presse
internationale. Et l'auditorium de l'Hôtel de Ville bourré à craquer.
Manifestement, les Halles, ça intéresse. En présentant
le résultat de la
compétition pour le réaménagement de ce quartier central,
Bertrand Delanoë a
d'abord admiré l'affluence en disant : «Je suis assez content
que vous soyez
nombreux.» Puis, il a dit que pour ce «moment très très
important», il
s'était trouvé face à «une interrogation sur l'âme,
le sens, l'harmonie et
la beauté».
Pour y répondre, «l'analyse faite par David Mangin est de notre
point de vue
la plus pertinente», a dit le maire, évacuant les trois autres
candidats,
Jean Nouvel, Rem Koolhaas et Winy Maas. Et d'expliquer : «Nous n'avons
pas
voulu céder à un effet de mode», «pas voulu choisir
une maquette ou une
illusion». De fait, Delanoë a précisé que «le
Carreau», vaste toit de deux
hectares qui formait le coeur du projet de Mangin, ferait l'objet d'un autre
concours. Voulant une «oeuvre élégante et légère»,
le maire a annoncé :
«Nous lancerons un concours international pour la réaliser. David
Mangin
sera avec nous pour rédiger le cahier des charges.» A la question
de savoir
si l'architecte pourrait participer à ce concours, Bertrand Delanoë a
répondu : «On verra.» Dans la salle de la conférence
de presse, son
entourage, plus au fait juridiquement, précisait off que David Mangin
ne
pourrait concourir ultérieurement, empêché par son futur
rôle d'architecte
coordinateur.
Consultation. Même mécanique pour le jardin. Le maire a apprécié que,
dans
le projet de Mangin, il soit «d'un seul tenant et au sol». Mais
là encore,
pour faire un futur «jardin d'art paysager contemporain», il
y aura «une
consultation d'artistes, de scénographes, de concepteurs lumière.
Il faudra
que le mobilier urbain soit le fruit du talent des designers. Il y aura
aussi de l'art à travers ça».
Accompagné par l'adjoint à l'urbanisme, Jean Pierre Caffet,
Bertrand Delanoë
a également dévoilé les coûts des projets, tout
en disant dans la foulée
qu'on ne connaissait pas les additions finales : «Il est vrai que le
projet
de David Mangin est le moins cher mais ce n'est pas vraiment ce critère-là
qui nous a influencés. D'autant qu'avec ce que je viens de vous dire,
a-t-il
poursuivi en faisant allusion aux concours qui restent à organiser,
vous
croyez que le coût est connu ? Il faudra le définir.» Caffet
est venu au
secours du maire dans sa démonstration contradictoire, en donnant
les coûts
estimés par les équipes elles-mêmes : 200 millions d'euros
pour Mangin, 300
millions pour Maas et Nouvel, 400 millions pour Koolhaas. Pour le lauréat,
«les estimations seront retravaillées par la Ville».
Enfin, côté calendrier, les renseignements ont encore une fois, été
succincts. «Nous avons fait le plus gros, laissez-nous travailler un
peu en
terme de calendrier», a dit Delanoë, en évoquant les deux
ans qui ont
couvert le lancement de la compétition, puis les phases où les équipes
se
sont affrontées. Et d'ajouter : «Ma préoccupation, ce
n'est pas de faire
quelque chose avant la fin du mandat.» Plus précis, Jean-Pierre
Caffet a
évoqué la nécessaire constitution d'une Zone d'aménagement
concertée (ZAC),
procédure qui pourrait être bouclée mi-2006. De calendrier
de travaux,
point.
Sans risque. Enfin, le maire a eu quelques mots pour les candidats écartés.
«Je ne vais pas dire du mal des trois autres mais le projet de Nouvel était
très densificateur, il brisait la perspective.» Sur celui de
Winy Maas, «à
un moment, j'ai craqué sur l'immense place en verre», a-t-il
confessé. Aveu
sans risque : le projet a toujours été considéré comme
techniquement
infaisable. Sur Koolhaas, en revanche, pas un mot. L'un des architectes les
plus connus du monde sort de la compétition sans un commentaire.
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A savoir
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jeudi 16 décembre 2004 (Liberation - 06:00)
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Les trois perdants
Rem Koolhaas. Un ensemble de tours relient le sous-sol au sol. Un vaste
«canyon» traverse le site pour évacuer la salle d'échanges
RER.
Winy Maas. Le sol est un vaste vitrail dans lequel sont insérés
les arbres
en pot. La lumière pénètre jusqu'au dernier sous-sol.
Jean Nouvel. Un immense toit porte un jardin suspendu. Les côtés
du jardin
sont entourés de préaux et d'équipements.
Deux ans de discussions
Décembre 2002. Le Conseil de Paris approuve le lancement d'un marché de
définition pour le réaménagement des Halles. Il faut
revoir la sécurité de
la salle d'échanges du RER, l'architecture des bâtiments de
surface, le
fonctionnement du jardin et l'organisation des flux. La Ville de Paris
pilote, la région, la RATP et Espace Expansion (filiale d'Unibail)
sont
partenaires.
Juillet à septembre 2003. Quatre équipes pluridisciplinaires
sont retenues
sur les 32 qui ont déposé un dossier. Elles démarrent
la phase dite
«ouverte», où ont lieu visites et rencontres et où les équipes
confrontent à
trois reprises leurs hypothèses.
Septembre à décembre 2003. La SEM Paris centre, qui organise
la compétition
pour le compte de la Ville rédige le programme définitif.
Décembre 2003 à mars 2004. Les équipes travaillent à part,
dans le cadre de
la phase dite «fermée».
8 avril 2004. Présentation des quatre projets. Leur exposition, jusqu'à la
mi-septembre, recevra 125OOO visiteurs.
Juin 2004. Le choix est repoussé à la fin de l'année.
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Mangin «contre le chaos qui offense la ville»
A Paris, il a notamment refait le boulevard Richard-Lenoir, la gare
Denfert-Rochereau...
Par Blandine GROSJEAN
David Mangin, un tenant de la ville «passante, conventionnelle et métisse»,
plus connu comme urbaniste que comme constructeur, est né en 1949, à Paris.
Il est le petit-fils du général Mangin (qui s'est illustré durant
la
Première Guerre mondiale) et de l'ancien président du Conseil,
René Pleven.
Diplômé de l'Ecole d'architecture de Paris-Belleville il sera
durant trois
ans l'assistant d'Henri Ciriani avant de militer pour des ateliers publics
d'architecture et d'enseigner à l'Ecole d'architecture de Versailles.
En
1983 il rejoint l'agence Seura, fondée par Alain Payeur, aux côtés
de
Florence Bougnoux et Jean-Marie Fritz où il va défendre une
conception
apaisée de l'urbanisme, militer contre le «chaos qui offense
la ville
conventionnelle».
C'est au sein de cette agence qu'il réalise, à Paris, les promenades
du
boulevard Richard-Lenoir, la rénovation de la gare Denfert-Rochereau
et du
marché des Enfants-Rouges, des immeubles de logements ZAC Montsouris
et la
reconversion en logements sociaux d'immeubles du XVIIe arrondissement. Il
coordonne également la rénovation du secteur Brûlon-Citeaux
dans le faubourg
Saint-Antoine ou la Seura va réaliser une cité artisanale.
A Lille, il
aménage la place des Buiises, à Marseille il «requalifie» l'entrée
de la
ville au nord par l'A7, et il rénove le cours du Chapeau-Rouge à Bordeaux.
En 1995 il est lauréat du palmarès de l'architecture SCIC AMO
pour la
construction d'un immeuble de logements sociaux à Rosny-sous-Bois.
David Mangin enseigne actuellement à l'Ecole nationale des Ponts et
Chaussées, à l'Ecole d'architecture de la ville et des territoires
de
Marne-la-Vallée et au Master of Urban Design de l'université de
Singapour.
Intellectuel et théoricien de l'architecture, Mangin est l'auteur
depuis le
début des années 90 de nombreux articles et ouvrages Projet
urbain avec
Philippe Panerai (1991) , il a fondé la revue EAV (Ecole d'architecture
de
Versailles). Dans son dernier livre la Ville franchisée (Ed. La Villette),
il dénonce la privatisation progressive d'espaces urbains, de plus
en plus
sécurisés, de moins en moins publics et gratuits. La ville,
selon lui,
devrait être moins dépendante de l'automobile. L'architecte
et critique
Jean-Claude Garcias, supporter de son projet des Halles, a déclaré hier à
l'AFP, «Mangin prend acte du fait que Paris, c'est le XIXe siècle,
que cela
plaise ou non. Ce n'est pas un morceau de Singapour, ou d'une ville qui
imposerait une architecture en rupture avec ce qui existe. Il met du baume
sur les plaies des Halles, aménage un grand rectangle orthogonal comme
le
Palais-Royal. Tout en sachant que ce projet est déterminé par
les commerces,
il comprend que les habitants sont attachés au jardin».
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Paris. Editorial
Un trou rouvert
Par Antoine de GAUDEMAR
jeudi 16 décembre 2004
en acceptant il y a deux ans un réaménagement des Halles, Bertrand
Delanoë
ne réalisait sans doute pas qu'il ouvrait la boîte de Pandore.
Et qu'il
réveillait un traumatisme urbain profond, celui d'un ventre de Paris
mal
opéré et mal cicatrisé, dont chaque Francilien s'était
bon an mal an
accommodé, tout en en gardant comme un infime stigmate. Ce qui n'était
au
départ qu'une mise aux normes des conditions de sécurité de
la plate-forme
souterraine métro-RER a fait ainsi naître et grandir au fil
des mois dans
l'opinion un espoir : celui qu'un remodelage du ratage architectural le plus
spectaculaire de la capitale avec les voies sur berge était
enfin
possible. La pyramide du Louvre est là pour témoigner qu'un
simple
aménagement (en l'occurrence l'accès au musée du même
nom) peut devenir une
oeuvre architecturale bouleversante. Mais Bertrand Delanoë n'a pas eu
l'audace d'un François Mitterrand. Est-ce parce que cette fois, il
s'agit
d'un projet municipal et non d'une décision régalienne, et
que le maire de
Paris a dû composer avec de multiples partenaires politiques, économiques,
sans perdre de vue non plus des préoccupations plus électorales
? En
retenant le projet le plus consensuel et le plus «citoyen» sans
l'assumer
pleinement pour autant, non seulement il ne montre pas une volonté de
bâtisseur mais prend une non-décision. Ceux qui rêvaient
d'un geste fort
seront déçus d'une stratégie aussi floue et pusillanime.
Ils ne pourront pas
s'empêcher de penser que le maire de Paris a d'autres objectifs en
tête, au
premier rang desquels l'organisation des Jeux olympiques de 2012. Il prend
ainsi le risque de ne pas reboucher de sitôt le trou qu'il a rouvert.
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Un marché pour définir une stratégie
la compétition pour le réaménagement des Halles est
un marché de définition
et non pas un concours d'architecture. Cela explique que le gagnant ait été
choisi par la commission d'appel d'offres de la Ville de Paris et non pas
par un jury. Dans un marché de définition, ce n'est pas le
dessin précis
d'un bâtiment qu'on retient, c'est une stratégie. Avec toute
la souplesse
que cela implique : la stratégie peut être réorientée
de multiples manières
alors que le dessin d'un immeuble choisi par concours ne peut guère être
modifié. Comme tout marché, le marché de définition
peut être déclaré
«infructueux» si aucun vainqueur ne convient à la commission
qui décide.
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La petite victoire du «carreau»
Les principes de Mangin sont retenus, mais leur réalisation lui échappe.
Par Sibylle VINCENDON
jeudi 16 décembre 2004
mais qu'a donc gagné hier l'architecte David Mangin ? En apparence,
le
réaménagement du quartier des Halles avec le projet suivant
: un jardin
classique comportant à son extrémité un gigantesque
toit de deux hectares,
le carreau, couvrant 15 000 mètres carrés de bâtiments
et culminant à neuf
mètres de haut (deux étages). Le tout recouvrant une partie
de l'actuel
centre commercial souterrain. En réalité, l'homme de l'art
n'a remporté
qu'une mission d'étude rémunérée 262 000 euros,
soit peu. Pour donner une
idée, la simple participation à la compétition était
indemnisée 100 000
euros pour chacune des quatre équipes. Là s'arrête la
victoire. Mangin n'a
en particulier pas remporté la conception du carreau, son morceau
principal.
Un concours international pourvoira plus tard à fournir un architecte à
cette partie.
Concours séparés. Pourtant, Mangin aurait pu se voir gratifié hier
d'une
commande plus complète, comportant en particulier le dessin du fameux
carreau. La procédure retenue le permettait. En plus de la mission
d'architecte coordinateur que Mangin a gagnée hier, d'autres marchés,
dits
«subséquents», auraient pu lui être attribués.
Non pas des études cette
fois, mais bien des missions de réalisation. David Mangin en récoltera
peut-être certaines par la suite mais pas les principales : le carreau
comme
le jardin feront l'objet de concours séparés dans lesquels
l'architecte ne
pourra participer qu'à la rédaction du cahier des charges.
Et comme on ne
peut pas être des deux côtés de la barrière, il
ne sera pas candidat à ces
compétitions-là.
Du coup, a-t-on choisi hier quelque chose que les Parisiens pourront voir
un
jour ? Non, répond Jean-François Legaret, le maire UMP du Ier
arrondissement
(celui des Halles). Pour lui, ce qui s'est passé hier est «une énorme
supercherie» : «Bertrand Delanoë annonce : "Je désigne
Mangin" mais ajoute
qu'il abandonne son projet et qu'on va lancer un concours pour trouver un
architecte qui va le réaliser.» Et de conclure : «Nous
venons d'assister à
une déclaration de marché infructueux.»
Toit. De fait, nul ne peut savoir ce qui sera réalisé. Le concours
portera-t-il sur le principe d'un grand toit, à la même hauteur,
dans les
mêmes dimensions ? A ces questions posées hier, le maire s'est
contenté de
répondre en évoquant une «oeuvre élégante
et légère». «Et pour cette oeuvre,
nous lançons un concours», a-t-il dit. A aucun moment, il n'a
parlé de
«toit». Et il est difficile d'imaginer qu'on convoque le gratin
architectural mondial pour simplement retoucher ce qu'avait esquissé David
Mangin. «Il va y avoir des discussions technico-juridiques pour savoir
jusqu'où vont les éléments principaux, estime-t-on dans
l'entourage du
maire. Mais il faudra sans doute garder le principe d'un bâtiment unique
avec un toit important.»
Côté technique, nul ne sait non plus où on va. La partie
la plus délicate de
l'opération consiste à créer de nouvelles sorties pour
la salle d'échanges
du RER, à l'avant-dernier sous-sol. David Mangin propose de percer
la place
Basse, au coeur de l'actuel Forum. La faisabilité de la manoeuvre,
qui n'a
pas encore été étudiée finement, reste la grande
inconnue. Jean-Pierre
Caffet, adjoint à l'urbanisme, a assuré lors de la conférence
de presse :
«Les principes de David Mangin restent valables. Je suis sûr que
la lumière
du jour pénétrera sur les quais.» Audacieuse certitude
puisqu'on ne connaît
pas l'aspect du bâtiment qui coiffera le trou.
Partenariat. Le contexte financier pourrait aussi changer la nature du
concours international. Le groupe immobilier Unibail, propriétaire
du centre
commercial, pourrait être sollicité pour le financement de l'opération,
peut-être même au travers d'un partenariat public privé,
toute nouvelle
procédure qui assure le financement entièrement privé d'opérations
publiques. Mais alors, les goûts d'Unibail seraient prépondérants.
Hier, le
groupe se félicitait dans un communiqué du choix d'un projet «ambitieux
et
réaliste». Bertrand Delanoë a assumé de retenir
le seul projet qu'acceptait
Unibail. «On aime beaucoup travailler avec eux», a-t-il dit.
Mais de là à
leur laisser les manettes pour le choix de la pièce essentielle des
Halles...
D'autres incertitudes planent sur la victoire de David Mangin. Lors de la
conférence de presse, a été évoqué un
changement intervenu au cours de la
compétition : parti en équipe avec un autre architecte, Aurelio
Galfetti,
David Mangin a terminé seul. Les services juridiques de l'Hôtel
de Ville ont
précisé au maire qu'en cas de recours, les tribunaux pourraient
tiquer
devant cette irrégularité. Ce qui est craint : une procédure
de Jean Nouvel,
qui avait gagné en justice pour le concours du Stade de France.
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Le maire de Paris sur la ligne de la prudence
Bien qu'il cultive une image «innovante», Bertrand Delanoë prend
peu de
risques au nom de la proximité.
Par Alain AUFFRAY et Paul QUINIO
jeudi 16 décembre 2004
«Innovant et pragmatique.» Quand Bertrand Delanoë parlait ainsi
de lui, en
janvier 2002, il décrivait l'attitude qui serait la sienne dans la
gestion
du dossier des Halles. Mais il y a aussi de l'autoportrait synthétique
dans
ces deux mots. Ainsi va le maire de Paris depuis son élection triomphale à
l'Hôtel de Ville de Paris en 2001. Entre rayonnement international
et
crèches de quartier, entre flamboyances festives (Paris Plage, Nuits
blanches) et profil assumé de «gestionnaire local» qui
veut ne pas se couper
de ce que vivent les Parisiens au quotidien. Mais depuis son arrivée à la
tête de la capitale, Bertrand Delanoë a plus que d'autres cultivé le
côté
«innovant» de son profil. Y compris sur ce dossier des Halles qui
n'était
pas évoqué dans le contrat de la mandature 2001-2007.
Déception. Car le maire s'est laissé prendre au jeu d'une réflexion
sur
l'organisation des transports en commun transformé peu à peu
en une grande
consultation d'urbanisme et d'architecture. Il tenait là, à l'évidence,
un
sujet passionnant qui ferait parler de lui au-delà des frontières.
Aller au
bout de cette logique, c'était choisir Koolhass, le projet le plus
audacieux
et le plus spectaculaire. Mais c'est justement là où Delanoë ne
pouvait pas
aller. Parce qu'il prenait le risque d'être désavoué.
D'où sans doute le
parfum de déception qui enrobait la décision «pragmatique» prise
hier en
faveur du projet de David Mangin. «Il a choisi la prudence»,
constate
sobrement un maire socialiste d'une grande ville. D'où aussi les réactions
parfois à fronts renversés, l'UDF regrettant par exemple «le
conservatisme»
du maire de Paris.
Bertrand Delanoë a peut-être symboliquement acté hier qu'il était
victime
comme beaucoup d'autres du syndrome du mid-term, cette entrée dans
la
deuxième moitié de mandat, moins entraînante, plus frileuse
que la première.
Comme le raconte un autre maire PS, «à trois ans d'une élection,
on ne prend
pas les risques de la même manière». Le choix de ne pas
mettre en danger sa
majorité municipale est, à cet égard, symptomatique.
Car même si ses alliés
Verts ont tenu hier à relativiser la portée d'un choix «pas
génial»,
l'essentiel pour l'adjoint écologiste Yves Contassot a été préservé puisque
le quartier aura sa «perspective dégagée» et son «grand
jardin entièrement
accessible».
Jeux olympiques. Mais il serait sans doute faux de considérer que
cette
décision ne ressemble pas au Bertrand Delanoë des débuts. «Elle
est très
cohérente avec sa méthode et sa personnalité»,
raconte un de ses adjoints à
la mairie. La méthode, c'est la consultation, la proximité.
La personnalité,
c'est son côté «petite voiture, petit appart». Bertrand
Delanoë «est
quelqu'un d'extrêmement prudent», raconte aussi un de ses amis
socialistes.
Un élu PS parisien prévient même que sur d'autres dossiers, économiques
notamment, cette prudence «va finir par se voir». Christophe
Girard, son
adjoint Vert à la Culture, explique que le maire de Paris «exècre
l'idée
qu'il devrait laisser son empreinte. Il sera beaucoup plus fier de laisser
sa marque en remportant l'organisation des Jeux olympiques qu'avec un
bâtiment». Bertrand Delanoë, ou l'anti-Mitterrand. Une autre
façon de le
dire est qu'il «se jospinise».
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Un discours esthétique comme une guirlande de Noël
Le maire a accumulé les clichés et affirmé une vision
passéiste de
l'architecture de la capitale.
Par Elisabeth LEBOVICI
Ciao Marcel Duchamp et ses ready-made, bye-bye le surréalisme et sa
beauté
convulsive, au revoir la dérive situationniste, du balai la critique
et la
déconstruction, auf wiedersehen la Ville globale... C'est un adieu à la
modernité qu'a signifié la rhétorique du maire de Paris,
dans son discours
annonçant hier matin son choix en faveur du projet de David Mangin
et
l'agence Seura. «Le coeur de Paris est réinséré dans
son corps, a dit le
maire. Nous remettons notre pensée des Halles dans une pensée
de Paris et du
centre de Paris.» Sélectionné pour «l'harmonie
des usages et son lien au
reste de Paris», ce projet représente pour Bertrand Delanoë «la
vie et la
beauté», qui ne peuvent «s'exprimer si au départ
on a nié la réalité et la
fonctionnalité». Cette question du beau et de l'utile, de leur
opposition de
principe et de leur harmonisation souhaitée pour le bien social, nous
ramène
aux questions posées par les Arts décoratifs, au début
du XIXe siècle. Et,
durant toute sa conférence, Bertrand Delanoë a tenu un discours
très
nettement infléchi par ces problématiques d'un autre âge.
Car les questions
de structure, y compris les plus pragmatiques quant à la faisabilité du
projet, ont été systématiquement éludées
au profit de la déco.
«La perspective, le dégagement d'espace libre, le jardin»,
sont, selon ses
dires, les atouts du projet Mangin. Pourquoi ? Parce que la perspective
réconcilie les Halles avec la notion des grands axes classiques de
Paris,
parce que l'espace libre sert d'«écrin au patrimoine»,
parce que le choix
urbanistique du jardin permettra de susciter des commandes d'«art paysager»,
de «mobilier urbain», d'«oeuvres d'art éphémères
ou durables», a-t-il
ajouté. L'architecture, modèle ultraclassique (on pense ici
aux jardins de
Le Nôtre) doit faire travailler les jardiniers, les designers et les
artistes. En retour, ces corps de métier, puisqu'il faut bien les
appeler
ainsi, doivent s'atteler à embellir la vie. D'un concours d'architecture,
nous voilà donc passés à un grand oeuvre où tout
concourt à une harmonie
hiérarchisée, identifiable et nommée. Bertrand Delanoë énonce
même pour la
pièce principale de l'ensemble le futur carreau soumis à concours
international l'expression redondante de «création d'art
architectural»,
dont les qualités requises sont l'«élégance, la
luminosité, la créativité».
La fonction critique de ces activités, celle de tout art en particulier,
est
du coup reléguée au dernier plan d'un discours esthétique
appréhendé comme
une guirlande de Noël où figurent et clignotent «ambition,
beauté et vie».
Des mots qui compteront désormais pour l'avenir de Paris.