Libération (07/12/04)
Rebonds
Seul le projet Seura-Mangin a saisi les enjeux contemporains et futurs du
coeur de Paris.
Les Halles, un lieu citoyen
Par Eric DEMILLET
mardi 07 décembre 2004
Par Eric Demillet architecte.
L'intelligence des propositions est inversement proportionnelle aux tonnes
de ciment coulées. Paradoxe ou juste équilibre urbain ? A la
veille d'une
décision aussi importante s'agissant du réaménagement
des Halles à Paris, on
ne peut plus se satisfaire de lieux communs et d'argumentaires biaisés
sur
les projets en lice.
Les quatre propositions sont autant de futurs déclinés sur
des horizons
radicalement différents. Or, à la lecture honnête de
ces projets, on réalise
que seul le projet Seura-Mangin (Société d'études d'urbanisme
et
d'architecture et ) a véritablement saisi les enjeux contemporains
et futurs
du centre de la capitale.
Aux Halles bat le coeur de Paris mais plus encore passe l'artère vitale
de
l'Ile-de-France. Un réseau de flux dans lequel transitent presque
un million
de passagers par jour, un labyrinthe de commerces où travaille une
fourmilière, le tout grâce au RER et au métro. Les Halles
sont un lieu de
métissage qui ne doit pas être aseptisé, mortifié par
un projet faramineux
comme ceux qu'on nous a montrés, dont le financement imposerait évidemment
de livrer l'actuel «vide» au privé et qui conduirait à ruiner
ce fragile
équilibre dans lequel une population souvent peu aisée trouve sa
place au
centre de la capitale. Pour cela il faut une véritable stratégie
métropolitaine concentrée sur la gare, le coeur des Halles,
un élément sur
lequel la Seura a fortement insisté tout au long de la concertation.
Ce projet propose une gare sécurisée et digne de ses milliers
de transits.
Le sous-sol n'est plus cave, mais un lieu entièrement restauré que
l'on
sorte ou non du RER. C'est là sans doute le meilleur gage que l'on
puisse
offrir à la banlieue plutôt que de proposer un baratin sens
dessus dessous
qui détruit une miraculeuse mixité fonctionnelle et sociale
en prétendant la
révéler ! Il faut un projet citoyen.
La problématique contemporaine de l'Ile-de-France exige, aujourd'hui,
que
l'on ne concentre plus les investissements sur les seuls centres-ville
étouffés par les quartiers d'affaires, le shopping franchisé ou
l'événementiel préfabriqué.
Aux Halles, il y a déjà plus que nécessaire. Laissons à la
périphérie,
piscines, théâtres, ambassade ou autres et protégeons
ce qui manque à Paris
: un peu d'espace dans lequel s'exprime l'âme de la foule et non celle
du
béton. C'est bien le pari citoyen de David Mangin-Seura, qui répète à
l'envie que la ville doit être passante, ouverte.
Il faut aménager le grand vide pour s'y promener. Rappelons qu'en
semaine le
jardin n'est pas habité par les riverains mais, à plus de 90
%, par des
employés bien heureux de prendre l'air. C'est non un square de quartier,
mais un véritable jardin métropolitain unitaire que la Seura
a esquissé
quand d'autres ont imaginé des jardins suspendus ou des parcs à thèmes
dans
lequel chacune des fonctionnalités du lieu est isolée des autres
et où les
publics ne se croisent plus.
Enfin, il faut un projet contemporain plus que «moderne». Le
projet de la
Seura s'est concentré sur la préservation de ce lieu de vie
complexe et
fragile à partir de trames urbaines stables. Il est pensé a
minima des
programmes, pour ne pas faire prévaloir une activité sur les
autres, pour
faire pénétrer la lumière naturelle au sous-sol. Les
constructions sont
basses pour accentuer la fluidité des bâtiments traversants.
Il propose un
programme axé sur des éclairages du toit et du jardin, un jeu
de lumière
pour faire «événement sans faire monument», ce
qui, en un lieu aussi dense,
semble une proposition originale et éminemment plus ambitieuse que
les
autres.
On a fait le reproche d'être trop chlorophylle, on critique aujourd'hui
un
toit trop grand alors qu'il est du sol particulièrement discret. Autant
admettre que ses détracteurs manquent sérieusement d'arguments
!
Il importe de se concentrer sur cette proposition du toit dans un jardin,
sur l'idée de «ville passante», d'un toit pour tous, aurait-on
envie
d'ajouter. Pour tout cela, pour sa vision généreuse de la ville,
sa
proposition au fond consensuelle, ce projet mérite de gagner, quoi
qu'en
disent certaines associations de riverains et autres lobbies.