Le Parisien (25/11/04)
La rénovation des Halles échauffe les
esprits
L'événement
A QUINZE JOURS de la proclamation du (ou des) architectes qui seront chargés
de la rénovation des Halles, chacun y va de ses préférences.
Il faut dire
que les enjeux sont énormes. Entre une simple correction des erreurs
du
passé et la reconstruction du quartier le plus vivant de Paris (800
000
visiteurs par jour) et le plus grand carrefour de transport collectif
d'Europe, il faudra bien choisir.
Et c'est peu dire que les avis divergent.
La Ville se met à hésiter.
Il y a encore un mois, Jean-Pierre Caffet, maire adjoint chargé de
l'urbanisme, ne cachait pas sa préférence pour le projet Koolhaas
et ses
derricks de 20 à 30 m de haut afin d'améliorer les accès
aux transports en
commun. Christophe Girard, adjoint à la culture, milite depuis le
début pour
« ce geste architectural fort ». Mais, au cours des dernières
réunions de
travail, le vent aurait tourné en faveur d'un projet plus simple et
moins
coûteux : celui de Mangin et son toit de 140 m de long. Un mélange
entre les
deux projets serait-il finalement un compromis plus acceptable pour l'Hôtel
de Ville ?
Le maire de Paris se tait.
« Impossible de savoir ce que pense le maire », affirment ses proches.
Il ne
se décidera qu'au dernier moment. Mais, au cours des comptes-rendus
de
mandat du I e r arrondissement, il s'est laissé aller pour une option
qui
mêlerait « beauté, convivialité... et respiration ».
Certains comprennent
Koolhaas et Mangin. Encore eux.
Les associatifs se crispent.
Le collectif Rénovation des Halles, qui annonce « trente-trois
associations,
dont la moitié en dehors du quartier », a exprimé, hier,
ses craintes qu'un
« effet de mode » ne l'emporte sur les critères objectifs
qu'il juge
prioritaires pour le site. Après avoir loué la concertation,
dont ses
membres ont été des acteurs efficaces, ils avouent aujourd'hui
une certaine
« crispation ». En présentant ses positions, le collectif
a même refusé
l'entrée des représentants de la Ville et des associations
adverses dans sa
salle de réunion. Ambiance...
Les experts gambergent.
La Société d'économie mixte du centre de Paris (Semcentre)
prépare ses
synthèses avant la commission d'appel d'offres qui doit se réunir
mi-décembre. Leur objectif : proposer aux élus un classement
entre les
quatre candidats. Dans les bureaux de la place des Innocents (I e r ), c'est
le grand secret.
La RATP joue l'ouverture.
Mis à part le projet de Maas (le vitrail planté), totalement
rejeté, la
Régie de transports fait savoir que « les trois autres projets
: Nouvel (le
toit planté), Koolhaas et Mangin, avec quelques améliorations,
pourraient
être compatibles avec les priorités de la RATP (les liaisons entre
le RER et
le métro, puis avec la surface) ».
Le centre commercial fait ses comptes.
Unibail, propriétaire du Forum pour encore soixante ans, devra payer
une
grosse partie de la facture. Et il ne veut surtout pas se lancer dans de
longues années de travaux pour préserver ses activités.
Mangin, dont le
projet est le moins lourd, aurait donc largement sa préférence.
Le maire du I e r se désespère.
« Je suis globalement déçu des quatre projets. Aucun n'est
adapté au
quartier. Nous avons besoin d'une réhabilitation. On fait face à des
fantasmes d'architectes », s'emporte le maire UMP du I e r , Jean-François
Legaret. Sa position est importante, puisqu'il est membre de la commission
d'appel d'offres. Les candidats gardent espoir. Maas est définitivement
hors
jeu. Un duel entre Koolhaas et Mangin est déjà annoncé. « Mais,
s'il est
impossible de les départager, la commission d'appel d'offres peut
très bien
se reporter sur le troisième... et faire ainsi l'affaire de Nouvel »,
souligne un observateur.
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Interview de Paul Chemetov
« Aucun projet ne suscite l'enthousiasme »
VINGT ANS après avoir conçu la place Carrée, la piscine
et le Forum des
images au coeur du quartier des Halles, Paul Chemetov a lui-même été
candidat pour la rénovation du site mais ne fait pas partie des quatre
finalistes. Il porte aujourd'hui un regard critique sur la concertation et
le choix que doit faire la Ville d'ici à la mi-décembre. Comment, à votre
avis, s'est passée la concertation autour des quatre projets en lice
? Paul
Chemetov.
Aucun projet ne suscite l'enthousiasme. C'est très regrettable. Le
processus
qui a été lancé aurait dû permettre de définir
un programme pour l'avenir
des Halles. Au lieu de ça, on a ouvert la boîte de Pandore des
architectes
que l'on ne contrôle plus. Les quatre ont paradé : aucun n'a
proposé de
vraie restructuration de l'existant mais ils se sont tous lancés dans
des
projets de destruction des Halles actuelles. Accepterez-vous, justement,
que
l'on détruise ce que vous avez vous-même réalisé?
Tout le monde reconnaît
mon travail dans cette partie des Halles (NDLR : le Forum lui-même
a été
conçu par Claude Vasconi). En France, on protège le droit sur
les oeuvres
intellectuelles. Je me rends donc à la sagesse des pouvoirs publics
qui
n'enfreindront certainement pas la loi. Mais je ne laisserai pas faire. Je
suis ouvert aux améliorations mais pas à la casse. Si on veut
détruire les
plafonds en béton qui ont été construits, il faudra
ajouter 100 millions
d'euros aux budgets déjà présentés par les candidats
qui vont de 200 à 600
millions d'euros. Ce n'est pas à moi de décider où va
l'argent des
Parisiens! Que doit faire la Ville à l'heure du choix? Nous ne sommes
pas
dans une friche industrielle ou à Las Vegas, mais au centre de Paris.
L'objectif de départ était de rendre plus confortable les accès à la
gare
RER, plus performant le centre commercial et plus accessible le jardin. La
question est aujourd'hui de savoir comment transformer le quartier le plus
animé de Paris en prenant en compte les difficultés d'un tel
chantier,
l'argent qu'il faudra dépenser, le tout sans faire table rase de ce
qui
existe. Il ne faut pas se décider pour un projet parce qu'on est pris
par
des délais et des effets d'annonce. La Ville doit savoir encore prendre
son
temps.
Eric Le Mitouard
Le Parisien , jeudi 25 novembre 2004