Le Parisien Dimanche (12/12/04)
Le nouveau Forum des Halles choisi mercredi Paris. Le réaménagement du Forum des Halles, qui abrite le plus grand centre commercial de France, est devenu indispensable. Mercredi, le Maire, Bertrand Delanoë, annoncera le nom de l’architecte chargé de rénover, à nouveau, le ventre de Paris.
De mémoire de Parisien, on n’avait jamais vu autant de passion depuis l’installation de la fameuse pyramide du Louvre. Pas moins de 125.000 personnes ont visité l’exposition où étaient présentés les projets d’architectes visant à rénover le Forum des Halles, achevé il y a seulement vingt ans dans l’ancien ventre de Paris.
L’enjeu est de taille. Victime de son succès, le Forum, qui abrite le plus grand centre commercial de l’Hexagone, étouffe. Et dans son sous-sol transformé en une immense gare urbaine, où se croisent trois lignes de RER et cinq lignes de métro, passent quotidiennement 800.000 voyageurs dont l’évacuation en cas d’incident est loin d’être sûre.
Totalement détaché de la vie du quartier
Seconde raison : les fameux « parapluies » qui sont la marque de fabrique des Halles ont très mal vieilli. Enfin, le Forum est totalement détaché de la vie du quartier et son fameux jardin s’avère trop morcelé pour exister vraiment. Autant de dysfonctionnements qui ont conduit Bertrand Delanoë, le maire de Paris, à vouloir « corriger les erreurs du passé ».
Mercredi, après plusieurs mois de concertation, une commission d’appel d’offres composée de six élus de la capitale (trois PS, un Vert et deux UMP) désignera, parmi les quatre prétendants, l’architecte chargé de rénover le site le plus populaire de la capitale.
Un dossier plus que délicat pour le maire de Paris. Il y a, tout d’abord, la traditionnelle querelle des anciens et des modernes : doit-on oser un geste architectural fort dans le cœur historique de Paris ? Ou faut-il respecter l’existant qui a finalement réussi à s’imposer dans un quartier traumatisé il y a trente ans par la démolition des fameux pavillons Baltard. A l’époque, le président Valéry Giscard d’Estaing puis Jacques Chirac, alors maire de Paris, avaient failli s’embourber dans le fameux trou des Halles.
A trois jours du choix, officiellement, rien n’est joué. Pourtant, après sept mois de palabres, on peut déjà affirmer que le projet de « vitrail » de l’architecte néerlandais Winy Maas, pas assez maîtrisé, devrait être rejeté. De même, celui de jardin suspendu imaginé par Jean Nouvel devrait, lui aussi, être retoqué. Trop dense et trop complexe.
Reste deux candidats : celui de la modernité, incarné par l’autre architecte néerlandais, Rem Koolhaas, et celui de la sagesse, défendu par l’urbaniste parisien David Mangin. Ce dernier tiendrait la corde. Son projet plaît aux riverains, aux commerçants, à beaucoup de Verts et à une bonne partie des élus PS du Conseil de Paris. Ils y voient tous un moyen rapide et peu coûteux de rénover le Forum tout en provoquant un minimum de nuisances.
Pour décider, la commission d’appel d’offres s’appuiera sur le rapport technique de 48 pages qui lui a été remis vendredi. Y figurent vingt critères déterminants : l’aménagement des espaces publics et du jardin, l’accessibilité au pôle de transport, la requalification de tout le quartier, le coût financier (entre 200 et 600 millions d’euros, selon le projet, financés à la fois par la Ville, la RATP, les commerçants, etc.). Un choix que le Conseil de Paris devra ensuite valider. D’ici là, les esprits vont continuer à s’échauffer. Dès demain, lors du prochain conseil : « Monsieur Delanoë pourrait annoncer : C’est X, mais son projet doit être revu, ou c’est X, mais il devra travailler avec Y », estime un proche du dossier. « On proclamera un nom d’architecte, mais il sera avant tout un coordinateur », affirme un autre. Les travaux, eux, ne devraient pas démarrer avant 2006 pour s’achever, au mieux, en 2010. Le trou des Halles n’est pas encore rouvert.
Eric Le Mitouard Jacques Lallain
Quatre projets en lice
Le favori : David Mangin
L’architecte David Mangin (agence Seura) propose de mettre un vaste toit de 2 hectares au-dessus du Forum des Halles. C’est la taille de la place des Vosges ! Sa hauteur, limitée à 9 mètres, arrivera à la cime des arbres. Une façon de s’intégrer au jardin existant et de ne pas boucher la vue aux immeubles alentour.
Pour éviter que ce toit ne soit un simple couvercle au-dessus du centre commercial, Mangin prévoit de le réaliser en verre et en cuivre patiné et d’y ménager des ouvertures. Un toit qui plus est s’illuminera la nuit, ce qui, selon l’architecte, fera « événement ». Le jardin actuel est respecté dans sa quasi-totalité. Un chemin entre 15 et 30 mètres de large fera le lien entre les Halles et le Palais-Royal.
Les points forts
Les points faibles
Le cabinet
David Mangin, 55 ans, est un architecte français membre de l’agence Seura (Société d’études urbanisme et architecture) installée à Paris (XIXème). « Nous sommes une équipe de dix à quinze personnes, on est une agence modeste », reconnaît-il. « Je suis très impressionné du secret qui entoure la décision du maire. La pression des derniers jours est pesante. On se blinde. Mais impossible de ne pas y penser. Dans tous les cas, assure David Mangin, le 15 au soir, on fera la fête. »
Le challenger : Rem Koolhaas
Symbole du projet de cet architecte néerlandais : les tours de verre. Sorte de « derricks » colorés et translucides, éclairés la nuit et dont le nombre peut varier de six à vingt-et-un selon la densité. Hauteur maximale : 37 mètres.
L’autre geste fort du projet Koolhaas : son fameux canyon à ciel ouvert chargé de relier la fameuse gare souterraine métro-RER au jardin. Pour réaliser ce canyon piétonnier, il utilise l’un des tunnels routiers des Halles.
Les points forts :
Les points faibles :
Le cabinet
Prix Pritzker 2000, Rem Koolhaas, 60 ans, appartient à l’agence OMA (Office for Metropolitan architecture) basée à Rotterdam. Architecte de dimension internationale, il réalise actuellement l’ambassade néerlandaise à Berlin, une bibliothèque municipale à Seattle aux Etats-Unis, un musée à Séoul… « J’ai voulu créer des liens, dit-il. Mais j’ai compris qu’ils préfèrent tous les deux rester dans leur état, bien séparés. Encore faut-il savoir si nous devons faire un projet pour les 5.000 personnes qui y habitent ou pour le million de gens qui y passent tous les jours ? » « Si notre projet est pris, on s’installe sans problème à Paris », assurent ses collaborateurs.
En queue de peloton : Jean Nouvel
Le père de l’Institut du Monde arabe propose d’accroître la surface des jardins par des terrasses, notamment une prairie suspendue surmontant un nouveau carreau planté à 27 mètres de haut et accueillant une piscine à ciel ouvert. « Mon projet est sans doute trop complexe, lançait-il, mercredi, déçu par les dernières informations qui courent et qui le mettent aujourd’hui sur la touche. Dès qu’il y a plus de trois idées, les gens ne comprennent plus rien. Les associations de riverains ont dit que mon projet était trop dense. Mais on m’avait demandé de présenter un projet équilibré financièrement. Les bâtiments que j’ai annoncés n’étaient qu’une proposition. La densité qui fait tellement peur est un choix politique. C’est Bertrand Delanoë qui aurait tranché. » Sur le plan technique, le dernier rapport de la Ville n’a pas été non plus laudatif : « Les conditions de faisabilité devront être validées plus tard », soulignent les experts. « Maintenant, c’est trop tard, reconnaît Jean Nouvel. Je n’ai plus le temps pour m’expliquer et convaincre… » A moins d’une surprise de dernier moment.
Hors course : Winy Maas
Avec son projet de vitrail, cet architecte néerlandais veut faire entrer la lumière dans les espaces souterrains rénovés. Il veut remplacer le sol de surface par des plaques transparentes d’où l’on pourra « regarder le monde en bas ». Les dalles colorées alterneraient avec des jardins. Un projet qui a peu de chances d’aboutir. Le rapport de synthèse remis aux élus le mois dernier souligne, en effet, que « des doutes persistent sur la faisabilité technique du toit-podium ». Le rapport mentionne également « les nuisances importantes pour le quartier pendant la durée du chantier » et le fait que « la continuité d’activités commerciales dans les niveaux de sous-sol n’est pas crédible ». Beaucoup d’inconvénients pour un seul dossier. |