Comment redessiner les Halles de Paris LE MONDE | 24.04.04 | 16h11 Une foule inhabituelle se presse ces temps-ci à la Maison des associations, à Paris, dans le Forum des Halles, côté Saint-Eustache. Elle détaille les projets des quatre équipes retenues par la Mairie pour redessiner le quartier central de la capitale. Koolhaas, Mangin, Maas (MVRDV) et Nouvel, pour ne citer que leurs têtes de file, ont pu prendre en compte la totalité des problèmes, fonctionnels et esthétiques, que pose ce quartier. Les six cents "contre-projets" du concours international pour les Halles, lancé en 1980 par le Syndicat de l'architecture (dont Jean Nouvel était l'un des leaders), n'avaient pas eu la chance de pouvoir s'appuyer sur les contraintes actuelles. Or il n'y a pas de projet urbain ni architectural sans contrainte (un site, un sol, un espace, un voisinage, des règlements). Tout comme il n'y en a théoriquement pas sans programme (des fonctions, des objectifs, des problèmes à corriger, etc.), sans budget ni concertation avec les habitants - sauf à repousser ces dimensions dans le temps, ce qu'a fait la Mairie en ayant recours à la procédure dite du "marché de définition" (préconisée "lorsque la personne publique n'est pas en mesure de préciser les buts et performances à atteindre par le marché, les techniques de base à utiliser, les moyens en personnel et en matériel"). L'histoire des Halles, depuis la destruction des pavillons de Baltard, est marquée par une série sans précédent de décisions suivies d'abandons, de concours gagnés puis reniés, d'études lancées pour être aussitôt enterrées. Hormis le RER, lancé et achevé dans la décennie 70, et le Forum de Vasconi et Pencréach, à la fois centre commercial et moyen d'accès à la gare souterraine, inauguré en 1979, tout aura été imaginé pour être ensuite remis en question. Jusqu'au projet de Paul Chemetov (la piscine, la vidéothèque, l'extension du forum) qui, seul, aura suscité une architecture durable et d'ailleurs respectée. L'ensemble des Halles forme ainsi un ensemble hétéroclite, peu "lisible" en sous-sol, souvent jugé pitoyable en surface et agrémenté, si l'on peut dire, des nuisances que peut susciter, de la part d'un public de passage, un environnement mal-aimé... Et ces "contraintes" ont canalisé mais aussi libéré l'imagination des quatre concurrents actuels. Tous proposent, à des degrés divers, une sensible amélioration des accès aux commerces souterrains et à la gare du RER. Au delà, les projets diffèrent. Jean Nouvel, tout en cultivant à l'extrême la fibre écologique (le jardin et la piscine perchés sur le toit de son "carré des Halles"), livre un projet classique par la structure parisienne de son parc et radical par la refonte qu'il opère des espaces commerciaux. C'est aussi un projet à géométrie variable. Au programme minimaliste de la Mairie, il a ajouté une collection d'idées qui, de l'hôtel de luxe dans la Bourse du commerce à la passerelle populaire sur le boulevard Sébastopol, en passant par le remodelage d'immeubles comme l'Hôtel Novotel, prennent en compte la réelle dimension du quartier. Il attrape le chaland par d'improbables images de piscine et de terrain champêtre logés sur le toit du "carreau" qui surplombe son forum. Il double les surfaces de commerces ou de bureaux disponibles, ce qui s'oppose aux engagements pris par les autorités de ne pas densifier le quartier. De cette manière, il souligne aussi que le futur visage des Halles dépendra d'abord de ses investisseurs potentiels et de la possibilité de la Mairie d'ingurgiter la masse d'idées portées par Nouvel. Appartenant en apparence à la même tendance "classique" que le projet précédent, la proposition Mangin, respectueuse des arbres existants - et des Verts - s'est, en revanche, positionnée comme raisonnable par rapport aux demandes de la Mairie et de ses partenaires de la SEM Paris-Centre. Pas de surprise majeure : la qualité des éléments construits semble au rendez-vous, mais la chirurgie réparatrice, en surface, s'arrête à l'emprise actuelle du quartier étudié. Si Nouvel réinvente un jardin type Palais-Royal, bordé de bâtiments au sud, Mangin et l'agence Seura imaginent un axe est-ouest couvert, de la Bourse du commerce à la porte Lescot, qui rappelle l'axe souterrain du Grand Louvre, des Tuileries à la pyramide. C'est le projet le moins audacieux, le moins risqué financièrement, le plus "lisible", s'il n'ajoute finalement que peu d'attraits au jardin qui reste ouvert à tous vents. Le projet Koolhaas est le plus spectaculaire, avec ses "totems ou pavillons" en forme de derricks ou de flacons de parfum, selon qu'on a l'esprit pétrole ou essence. Cette vingtaine de tourelles dans lesquelles un public, peu familier des échelles des maquettes, pourrait voir des tours, terme honni à Paris, rappellent plutôt, par les rôles multiples qu'elles doivent jouer, les folies imaginées par Bernard Tschumi pour le Parc de La Villette. PROJET CASSE-COU Emergeant des différents niveaux du sous-sol vers lequel elles projettent la lumière du jour, elles sont une vingtaine avec des hauteurs variant de 25 mètres (la hauteur d'un immeuble) à 37 mètres pour la plus élevée, signal destiné aux habitués du RER et du métro qui reste cependant en deçà de la tour Saint-Jacques. C'est pour Koolhaas, le plus célèbre des architectes néerlandais, un nouveau projet casse-cou, même si la fluidité des espaces intérieurs apparaît particulièrement étudiée. S'il peut séduire les commerçants, soucieux d'afficher une enseigne nouvelle et sensément moderne, il ne caresse pas les Verts dans le sens du poil, malgré le traitement du jardin remarquablement libéré et ouvert sur le chevet de Saint-Eustache. Winy Maas enfin, davantage connu par le nom de son agence, MVRDV, est né de la cuisse droite de Jupiter-Rem Koolhaas, chez qui il travailla. "Projet provoc", cette immense table aux coins inclinés, pour que le public y vienne festoyer, est aussi un projet unificateur et pacificateur. La maquette en plastique est trompeuse. Les couleurs, qui désignent davantage des fonctions que des matières, ne disent rien des intentions de Maas, plus bucolique qu'il n'y paraît. Mais rien non plus des techniques qui devraient être employées pour couvrir de verre l'espace du forum ou l'actuelle piscine. Moins provocante que le projet Koolhaas, la proposition de MVRDV est tout aussi néerlandaise par son radicalisme moderne. Très loin des habitudes prises en France, particulièrement à Paris. On n'est guère habitué sur les berges de la Seine, épargnées des bombes que connut Rotterdam, à accepter de tels projets, mieux tolérés à Londres, Bilbao, Tokyo ou Pékin, et d'une façon générale partout où l'idée d'avenir n'est pas nécessairement porteuse d'inquiétude. Or il s'agit d'un projet considérable par son ampleur, sur lequel tous les Franciliens, et même les Français, usagers du Forum ou du RER autant que le sont les Parisiens, pourraient avoir leur mot à dire. La réalité politique interdit pourtant d'aller chercher l'assentiment de la population au-delà des strictes limites du périphérique. Dans ces conditions, bons ou mauvais, les deux projets néerlandais risquent de ne pas atteindre un statut d'éligibilité minimum. Deux ou trois équipes de plus, venues d'Espagne, du Japon, de Grande-Bretagne ou d'ailleurs, auraient certainement rendu la compétition moins déséquilibrée. Ce résultat était prévisible. Il est fort regrettable, car il limite les choix possibles de la Mairie. Sauf à imaginer un retournement complet de l'attitude des Parisiens, devenus frileux, non sans raison, depuis le premier "bombardement" des Halles. Frédéric Edelmann |