Le Monde, 22/02/04
Le « ventre » de Paris va être de nouveau
remodelé
Bertrand Delanoë, maire (PS) de la capitale, va recevoir, début
mars, les quatre projets d'architectes pour la restructuration des 10 hectares
du quartier des Halles. Son immense gare, son centre commercial, sa piscine,
ses cinémas composent une ville avec des intérêts contradictoires.
Après les tours, les Halles ! Un nouveau débat sur l'urbanisme
de la capitale va s'ouvrir. Bertrand Delanoë, le maire (PS) de Paris,
prendra connaissance dans quelques jours des projets de rénovation
de l'un des plus célèbres quartiers de la ville, une opération
décidée il y a un peu plus d'un an par les élus (Le
Monde du 25 février 2003). Quatre grands cabinets d'architectes
vont lui remettre, début mars, plans et maquettes dans le cadre d'un "marché d'études
de définition". Une des équipes sera choisie avant l'été pour
que soit lancé au plus vite ce qui devrait être le plus important
chantier de la mandature.
VILLE SOUTERRAINE
Les Ateliers Jean Nouvel, l'équipe MRDV de Winy Maas, Rem Koolhaas
et OMA ainsi que SEURA-Galfetti avec David Mangin ont travaillé depuis
six mois sur le réaménagement du quartier des Halles. Un projet
d'une ampleur considérable puisqu'il s'agit pour eux de repenser plusieurs éléments
d'un ensemble de 10 hectares, à cheval sur les 1er, 2e, 3e et 4e arrondissements.
Ce "ventre de Paris", du temps des marchés de gros, qui
en est devenu le "cœur", avec une ville souterraine sur plusieurs
niveaux.
Ces plans doivent ainsi à la fois repenser la plus grande gare de
la capitale, l'une des plus importantes au monde avec ses 800 000 voyageurs
quotidiens, et le plus fréquenté des centres commerciaux de
Paris avec ses 41 millions de clients annuels, mais aussi un jardin
de plus de quatre hectares, de nombreux équipements publics et tout
un réseau de voiries, essentiellement souterraines. Le "Forum" comprend également
la plus importante FNAC de France, un multiplexe de 23 salles de cinéma,
la piscine la plus fréquentée de la capitale...
Pour Bertrand Delanoë, l'enjeu est de taille. Il s'attaque là au
symbole du Paris de Jacques Chirac, puisque c'est le président de
la République, alors maire de la capitale, qui s'était voulu
le "grand architecte" du quartier, après la destruction
contestée des pavillons Baltard au début des années
1970.
DE NOMBREUX OBSTACLES
Depuis la polémique sur un éventuel retour des tours dans la
capitale, M. Delanoë se doit de présenter cette fois un projet
consensuel. Et, à mi-mandat, il lui reste très peu de temps
pour pouvoir inaugurer, d'ici à 2007, les premières réalisations
du renouvellement de ce quartier.
Avant d'y arriver, le maire et son équipe vont devoir franchir de
nombreux obstacles, dont le plus important consistera à concilier
les intérêts souvent contradictoires des partenaires (RATP,
gestionnaire du centre commercial et région Ile-de-France) et des
destinataires de toute cette opération. Les usagers, en grande partie
venus de banlieue, des stations Châtelet-les-Halles (3 lignes
de RER, 5 de métro et 14 de bus) devraient être les incontestables
bénéficiaires de la reconstruction de la gare souterraine.
Sous-dimensionnée par rapport à son trafic, mal commode, inadaptée
pour des évacuations d'urgence, difficile d'accès par la surface, elle offre un visage peu avenant de ce qui constitue
la première porte de Paris pour nombre de visiteurs.
"Tout le monde est d'accord pour constater que cette gare n'est pas à la
mesure de son importance,admet Lorenzo Sancho de Coulhac, directeur de l'agence
de développement de la RATP. Il faut en concevoir une nouvelle, capable
d'accueillir la hausse prévisible des échanges dans les prochaines
années et, surtout, la rendre plus visible dans le quartier. Mais tout
cela coûtera très cher et il faudra que notre principal financeur,
c'est-à-dire la région, accepte d'en faire une priorité."
Mais l'intérêt de la RATP ne recoupe pas forcément celui
des commerçants du Forum. Espace Expansion, une filiale de la société foncière
Unibail, gère le centre commercial de 60 000 m2 où travaillent
en permanence 3 000 personnes. "Nous souhaitons, comme la RATP,
que les sept portes d'accès au Forum soient entièrement redimensionnées
et surtout beaucoup mieux signalées dans tout le quartier, explique
Marguerite des Cars, vice-présidente d'Espace Expansion. Mais les
flux de voyageurs devront être réorganisés sans qu'ils évitent
pour autant toutes les galeries marchandes."
HÉSITATIONS DES HABITANTS
Car, malgré son succès, le centre commercial des Halles est
très sensible aux évolutions du quartier. Il commence à souffrir
de la concurrence de la rue de Rivoli toute proche, devenue en quelques années
l'une des principales artères commerçantes de la capitale. "C'est
pourquoi nous sommes demandeurs de 15 000 m2 supplémentaires,
dit Mme des Cars. Avec de nouvelles vitrines en surface nous pourrions améliorer
les liens des commerces du Forum avec les activités des quartiers
environnants et, avec 2 000 m2 de surface alimentaire, répondre
aux besoins des habitants du secteur et de nos clients."
Mais les 7 000 habitants du quartier eux-mêmes hésitent
sur l'ampleur du renouvellement nécessaire pour moderniser les Halles.
Par exemple, ils réclament un marché et pas forcément
une moyenne surface alimentaire. "Même si la Mairie s'engage à un
phasage des travaux, nous ne voulons pas à nouveau une forêt
de grues alors que nous avons connu quinze années de chantier",
s'inquiète aussi Jean-Jacques Gouret de l'Union des Champeaux, une
association créée il y a trente-cinq ans.
Même le projet de rénovation des jardins les laisse perplexes. "C'est
vrai qu'ils sont ratés, constate Pourbaix, vice-président
de l'association Accomplir, mais il faut qu'ils gardent leur calme actuel
avant d'assurer une fonction de transit, de salle d'attente et de lieu de
rendez-vous." Bien que très satisfait de la concertation engagée
par la Mairie de Paris, M. Pourbaix met en garde les élus : "Plus
qu'un projet d'architectes, il nous faut un projet d'urbanistes."
De son côté, Gilles Beauvais, de l'association Paris des Halles,
demande à la SEM - Paris-Centre, chargée de cet
aménagement, de prendre en compte la présence d'habitants,
aujourd'hui globalement satisfaits de leur vie dans ce quartier, avant de
décider toute densification des constructions.
Jean-François Legaret, maire (UMP) du 1er arrondissement, et
associé à ce titre au comité de pilotage, résume
les craintes de ses administrés : "Est-il raisonnable,
pour des questions électorales, de se lancer dans l'urgence dans une
rénovation globale du quartier alors que des opérations ponctuelles,
comme la requalification de la rue Saint-Denis ou la renaissance du square
des Innocents, pourraient être lancées rapidement sans avoir
besoin de ces grandes études d'architecture ?"
Pourtant, les projets seront certainement jugés par M. Delanoë en
fonction du dessin de l'"édifice symbolique" du renouvellement
du quartier que le maire de Paris veut voir construit rapidement aux Halles.
Il sera certainement situé en lieu et place des "Parapluies de
Willerval", ces pavillons construits le long des rues Pierre-Lescot
et Rambuteau, dont le vieillissement prématuré résume
parfaitement, aux yeux de la Mairie de Paris, l'échec du premier réaménagement
des Halles.
Christophe de Chenay
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Près d'un quart de siècle de destructions, de déménagements
et de reconstructions
L'histoire mouvementée du quartier des Halles avait commencé en
1135, avec le transfert du marché central de la place de Grève
au lieu-dit les Champeaux, hors de l'enceinte de Paris. Cet historique des
différentes étapes du réaménagement du quartier a été réalisé avec
les documents de l'Union des Champeaux et le livre Le Pari des Halles de
Paris, de François Serrand (Aubin, 18,29 euros).
1959. Le transfert du marché des Halles à Rungis et à La
Villette est décidé (Michel Debré, premier ministre).
1963. Le préfet de Paris propose la rénovation de la rive droite,
de la Seine à la gare de l'Est (670 hectares et 150 000
habitants concernés). Le projet est repoussé, mais le Conseil
de Paris crée une Société d'études d'aménagement
des Halles et secteurs limitrophes.
1966. Maurice Doublet, préfet de Paris, propose un programme de 830 000 m2
pour accueillir, entre autres, le ministère des finances.
1967. Un appel est lancé pour la restauration du quartier des Halles.
Le ministère des finances disparaît au profit d'un centre de
commerce international.
1968. Les premiers projets d'aménagement sont repoussés par
le Conseil de Paris. La surface de rénovation est réduite de
32 à 15 hectares, le reste fera l'objet d'une réhabilitation.
Un aménagement souterrain est envisagé.
1969. Départ du marché. Manifestations culturelles dans les
pavillons. Le président de la République, Georges Pompidou,
décide de construire un centre culturel à Beaubourg.
1970. Création d'une ZAC, décision d'aménager le futur
quartier de l'Horloge.
1971. Manifestations contre la démolition de six pavillons Baltard, détruits en août. Le Conseil
de Paris écarte le projet de construction d'une autoroute sur le canal
Saint-Martin.
1973. Démolition des pavillons de la viande, des îlots sud des
Halles et des îlots Beaubourg. Pendant l'été, le film
de Marco Ferreri, Touche pas à la femme blanche, est tourné dans
le "trou" des Halles.
1974. Elu président de la République, Valéry Giscard
d'Estaing décide l'abandon du centre de commerce international et
la création d'un jardin à son emplacement.
1975. Le projet choisi par les Parisiens est rejeté au profit de celui
de l'architecte espagnol Ricardo Bofill.
1977. Inauguration du Centre Beaubourg. Jacques Chirac élu maire de
Paris. Permis de construire accordé à Ricardo Bofill.
1978. L'association Union des Champeaux propose la mise en souterrain du
boulevard Sébastopol entre Beaubourg et les Halles. Jacques Chirac "chasse" le
projet Bofill, dont les premiers éléments ont été construits,
et se proclame "architecte en chef". Inauguration de la gare RER.
1979. Présentation et adoption par le Conseil de Paris du projet de
Jacques Chirac. Inauguration du Forum commercial.
1980. Exposition de 600 contre-projets pour les Halles à Paris,
Londres et New York.
1983. Construction de logements sociaux autour du Forum.
1983. Construction de deux hôtels, de logements et de bureaux.
1985. Ouverture de la 2e partie du Forum souterrain (architecte : Paul
Chemetov). Aménagement des jardins (architecte : Louis Arretche ;
paysagiste : François-Xavier Lalanne).
2002. Le Conseil de Paris approuve la mise en valeur du quartier des Halles.
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Un "édifice symbolique" en 2007
La première phase du chantier, qui doit être achevée
d'ici à 2007, comportera "la démolition ou la transformation,
même partielles, des pavillons des rues Lescot et Rambuteau".
Ces "parapluies de Willerval" constituent la partie la plus dégradée
et la plus contestée du réaménagement des années
1970. Tous les architectes prévoient de les remplacer. C'est là que
devrait être construit, d'ici à 2007, "un édifice
(...) qui sera symbolique de l'opération de renouvellement des Halles".
Le maire, Bertrand Delanoë, qui a toujours regretté que les grands
architectes contemporains ne puissent plus s'exprimer à Paris, souhaiterait
que soit ainsi réalisé un grand geste architectural. De nouveaux équipements
publics, la rénovation du jardin, l'amélioration des accès
au pôle d'échanges et au Forum, la valorisation de plusieurs
espaces devraient également être terminés d'ici à 2007.