Le Monde (06/07/04)

 

Les élus pris de court par l’engouement des Parisiens

 

Le paradoxe est de taille. Alors que les Parisiens se rendent par milliers à l'exposition des quatre projets de réaménagement des Halles, c'est la première fois, mardi 6 juillet, que les élus du conseil de Paris doivent en débattre vraiment en séance publique. Inaugurée le 8 avril, cette exposition a reçu 70 000 visiteurs. Plus de 8 000 personnes auraient déjà donné leur avis en remplissant les bulletins mis à disposition.

 

Cet engouement était perceptible dès les premières réunions publiques, il y a un an. Il a sans doute pesé dans la décision du maire, Bertrand Delanoë, de repousser à l'automne l'heure du choix. Ce succès complique les choses. Il fige, de facto, les propositions des équipes concurrentes, alors que l'équipe municipale s'échine à expliquer que la procédure utilisée, le marché de définition, "autorise toutes les souplesses".

 

Les élus parisiens devraient donc, mardi, donner leur avis sur ce qui est devenu un chantier majeur de la mandature. Ils n'ont guère été sollicités jusque-là : c'est une délibération votée le 9 décembre 2002 qui a ouvert le chantier. Elle autorisait la SEM-Centre, futur maître d’œuvre du projet, "à engager les études préalables à la réalisation d'une opération d'aménagement sur le quartier des Halles". Elle n'avait pas alors suscité de débat passionné. Il est vrai qu'il n'était question que d'une "remise aux normes" de la voirie souterraine et de la station Châtelet-les Halles, d'une "rénovation" des infrastructures du forum ou encore du "réaménagement" des 4,5 hectares de jardin. La nature des propositions des architectes comme la manière dont l'opinion s'est saisie du projet ont pris de court les élus. "Nous n'avons pas été assez vigilants", estime Jean Vuillermoz, président du groupe communiste au conseil de Paris. "Je ne m'attendais pas à des propositions aussi radicales et audacieuses", reconnaît Alain Le Garrec (PS), président de la SEM-Centre.

 

« Une immense ambition »

 

M. Delanoë est peut-être le seul à se réjouir secrètement de cet emballement. Le réaménagement des Halles, il y pensait bien avant d’être élu maire de Paris. Sans en faire un thème majeur de sa campagne, il l’avait glissé dans son programme. Il y avait consacré un court chapitre de son livre Pour l’honneur de Paris (septembre 2000), où il jugeait le site « froid, inapte à l’épanouissement d’une vie sociale et culturelle tonique », le quartier « sans style, sans charme, transformé en points de rendez-vous pour des petits dealers et des bandes souvent désœuvrées ».

 

« Delanoë s’est laissé déborder par les réactions du terrain et par les architectes, très présents dans son entourage, juge un observateur. Comme il est hésitant sur ce dossier, il se laisse faire. » Lors de la première réunion publique, le 26 juin 2003, le maire avait tenu à rassurer : pas question « de faire table rase et de recommencer quelque chose de nouveau. Ce ne serait pas raisonnable ».

 

Dix mois plus tard, il déclarait, dans Le Monde, avoir « une immense ambition » pour les Halles, appelées à « devenir un symbole de la dynamique de Paris et de toute la région Ile-de-France ». Mardi, au conseil de Paris, les Verts, qui ont déjà fait savoir qu’ils rejetaient le projet de Winy Maas, « techniquement trop incertain », et celui de Jean Nouvel, « trop dense », devraient rappeler leur attachement au principe d’une « rénovation » du quartier, notamment de ses voiries souterraines, de la gare du RER, du jardin des Halles et des équipements publics. « C’était l’idée initiale, je m’y tiens », estime Jacques Boutault, maire (Verts) du 2ème arrondissement et membre du comité de pilotage du projet. « Si le maire souhaite imprimer sa marque, qu’il le dise, alors nous travaillerons autrement. »

 

Les communistes devraient dévoiler leur préférence pour le projet de Koolhaas, « parce qu’il résout intelligemment les relations entre la surface et les parties souterraines », mâtiné de Nouvel, « à qui pourrait être confiée l’édification d’un équipement public ouvert sur la région qui marquerait le lieu ». Assez peu virulente, la droite devrait réclamer qu’on ne bouscule pas les riverains et que l’opération reste d’une ampleur « raisonnable », comme le souhaite le maire (UMP) du 1er arrondissement, Jean-François Legaret.

 

Le comité de pilotage qui s’est réuni vendredi 11 juin doit adresser, début juillet, ses dernières « préconisations » aux quatre équipes. Les dernières avant le grand saut, qui pourrait être précédé d’une ultime réunion publique, grand format et très ouverte.

 

Christine Garin