Le Monde (17/01/05)
La Ville de Paris s'attaque à la circulation des marchandises
LE MONDE | 17.01.05
Après les premières mesures destinées à réduire
la place de la voiture dans
la capitale, la Mairie veut lancer, dès janvier, un plan pluriannuel
pour
rééquilibrer le transport des livraisons en faveur du rail
et de la voie
d'eau.
Quel parisien n'a jamais assisté aux manœuvres désespérées
d'un 35 tonnes,
bruyant et soufflant de la fumée noire, pour s'extirper du guêpier
de rues
trop étroites pour son énorme gabarit ?
Afin de limiter ce genre d'épisodes, après les innovations
axées sur le
développement des transports collectifs, la Ville de Paris veut faire
de
2005 l'année des premières actions pour l'amélioration
des déplacements de
marchandises. "Il est indispensable de considérer aujourd'hui
la circulation
des marchandises comme une priorité, à l'exemple des transports
en commun",
affirme Denis Baupin (Verts), adjoint chargé des transports auprès
de
Bertrand Delanoë, le maire (PS) de la capitale.
Les responsables parisiens de la circulation admettent qu'ils n'ont pas
assez pris conscience de cette problématique lors de leur arrivée à la
Mairie en 2001. Il aura fallu les réactions négatives des commerçants
et des
transporteurs, après la mise en place des bus en site propre du programme
Mobilien, pour que la situation évolue.
"Depuis, la ville a engagé une réflexion sur le transport
de marchandises
dans la capitale", constate Laetitia Dablanc, chercheuse à l'Institut
national de recherche sur les transports et leur sécurité (Inrets)
et
coauteur d'un Guide technique et juridique pour les livraisons en ville
(éditions Celse, 2004).
Cette démarche, entreprise avec les transporteurs, les commerçants
et les
élus, illustre le nouvel état d'esprit de la Mairie. La concertation
est
aujourd'hui le maître mot, à la satisfaction de l'ensemble des
acteurs,
notamment Jérome Douy, délégué régional
pour l'Ile-de-France de la
Fédération des entreprises de Transport et logistique de France
(TLF).
Trente-deux millions de tonnes de marchandises transitent par Paris chaque
année, avec leur lot d'encombrements et de nuisances, qui affectent
la
circulation. Car, en dehors du million de tonnes qui prend la voie ferrée
et
des 3 millions qui empruntent la voie fluviale, les 28 millions restants
sont acheminés par la voirie terrestre.
La municipalité devrait annoncer les premières mesures de son
plan d'action,
courant janvier. Ce plan a pour ambition de rééquilibrer ces
différents
modes de transport. Ainsi, lors de la présentation du projet retenu
pour
l'aménagement du quartier des Halles (Le Monde du 17 décembre
2004),
l'utilisation du réseau ferré souterrain du métro et
du RER a été évoquée.
Pendant la tranche nocturne d'interruption du trafic passagers, ce réseau
permettrait la livraison des marchandises dans les magasins du forum des
Halles et, au-delà, des arrondissements centraux.
Certains observateurs estiment que le choix de l'architecte David Mangin
est
en partie dû à la possible ouverture de ce point de livraisons,
très demandé
par les commerçants et les riverains.
"Cette idée s'inscrit dans le long terme, mais fait déjà l'objet
d'une
concertation avancée entre la RATP, la SNCF, la Ville de Paris et
les
acteurs économiques", indique Christophe Ripert, responsable à la
direction
de la voirie et des déplacements de la Mairie du secteur transport
de
marchandises.
Outre cette entrée centrale dans la capitale, une partie des emprises
ferroviaires pourrait y être utilisée afin d'implanter quatre
pôles
logistiques : aux Batignolles (17e arrondissement), dans le quartier de
l'Evangile (18e), aux Gobelins (13e) et enfin à Bercy (12e).
Ces quatre espaces seraient reliés entre eux par le réseau
ferré de la
petite ceinture. Ce projet ambitieux suppose que soient respectées
des
normes environnementales rigoureuses, notamment des solutions adaptées
pour
les nuisances sonores, précise la Mairie.
Du côté des voies d'eau (la Seine et le canal Saint-Martin),
une partie des
berges pourrait jouer le rôle de plate-forme logistique. L'originalité de
cette utilisation serait d'être placée sous le signe du temps
partagé.
Ainsi, à certaines heures précises, les péniches pourraient
décharger leurs
cargaisons sur des véhicules qui iraient dans la foulée livrer
leurs
marchandises. Une fois terminé le déchargement, le quai serait
rendu au
public.
Le recours au ferroviaire et à la voie d'eau demandera du temps, car
il
exige du matériel innovant. En revanche, les initiatives sur le transport
terrestre devraient entrer plus tôt en application. En attendant, les
entreprises de transports recherchent leurs propres solutions : "Les
difficultés de circulation dans le centre de Paris nous obligent à nous
adapter",reconnaît Gilles Gatien, directeur de l'agence de Paris
de
Chronopost.
Cette société réalise en moyenne 210 tournées
journalières dans la capitale
et délivre quelque 10 000 objets à partir de son centre de
Bercy de 5 500
m2. Elle envisage, très prochainement, de créer plusieurs espaces
de
stockage de petite superficie à l'intérieur de la capitale.
La première, de
800 m2, doit ouvrir dans un parking de la place de la Concorde. Ce
dispositif vise à réduire les déplacements et à assurer
un service de
proximité rapide.
Autre action, l'initiative de Gilles Manuel, directeur de La Petite Reine.
Cette entreprise a été créée en 2001. Avec une
vingtaine de triporteurs,
elle a délivré en 2004, auprès de 60 000 clients, 80
000 colis de 1 kg à 5
kg.
Son développement illustre la croissance des déplacements liés
au service de
proximité. "Nous enregistrons une progression de 25 % à 30
% par an de notre
activité et nous assurons près de 700 000 livraisons par an",
affirme René
Assandri, responsable qualité à Star's Service. Une société qui
dessert de
grandes marques (Monoprix, Carrefour,...) et assure 90 % des livraisons aux
particuliers sur Paris.
Des déplacements plus courts mais toujours plus nombreux, avec des
véhicules
propres et écologiques, une utilisation équilibrée des
différents modes de
transports : la Ville de Paris se dit porteuse d'une ambition forte pour
le
transport des marchandises. "Il est important que ce plan soit intégré dans
une démarche globale de l'Ile-de-France", relativise Patrick
Martin,
responsable de l'Ile-de-France chez le transporteur United Parcel Service
of
America (UPS).
De fait, à défaut d'une telle démarche, les améliorations
de circulation
dans Paris risquent de pénaliser les villes périphériques.
Autrement dit, la
réflexion sur le transport de marchandises dans Paris intra-muros
se heurte
exactement aux mêmes difficultés que celle sur les transports
en commun :
les élus régionaux et certains maires de la banlieue aimeraient être,
eux
aussi, associés à la concertation que développe avec
les professionnels la
Mairie de Paris.
Dominique Buffier