Le Figaro (30/09/04)
ILE-DE-FRANCE Paris, la Région, le promoteur
Espace Expansion et la RATP
sont en négociation
Querelle souterraine sur le coût d'un réaménagement des
Halles
Laurence Chavane
«L'économie du projet relève de l'incertitude la plus totale.
Je n'ai jamais
eu de conversation économique avec le maire de Paris sur le sujet.»
Marguerite des Cars, vice-présidente d'Espace Expansion (groupe Unibail),
le
promoteur gestionnaire du centre commercial des Halles, serait totalement
dans l'inconnu. Presque autant que Gilles Pourbaix, un des responsables de
l'association de riverains et commerçants Accomplir, qui se plaint
de tout
ignorer sur les intentions financières de la Ville de Paris, ce «sujet
tabou» dont «on n'a jamais eu le droit de parler».
Près de deux ans ont passé depuis la décision du Conseil
de Paris de
réaménager les Halles - ouvrage complexe de 15 hectares, 70
000 m2 de
commerces, 41 millions de visiteurs par an, une gare souterraine et un
jardin - qui pose des problèmes de sécurité et de décrépitude
accélérée. On
ignore officiellement toujours le coût de l'affaire. C'est-à-dire
son
budget. Et la Mairie de Paris se refuse à dévoiler ses intentions,
reculant
la réunion de la commission d'appels d'offres - prévue en juin,
repoussée à
la fin de l'année - qui doit se prononcer sur un des quatre projets
d'architectes en concurrence.
Pour Serge Federbusch, directeur général de la société d'économie
mixte
SEM-Centre qui a lancé ces études pour la Ville, c'est la procédure
des
marchés publics qui impose aujourd'hui la confidentialité sur
l'économie de
chaque projet. «Et ce sont les réactions des Parisiens qui ont
fait évoluer
le calendrier.» Cela ne répond pas à la question pourquoi
la Ville de Paris
n'a pas fixé, en cours d'études, programme et enveloppe financière.
Faut-il un curieux jardin là-haut, un accès à l'air
libre pour la gare
souterraine du RER et du métro, des dizaines de milliers de mètres
carrés de
commerces supplémentaires, des totems colorés et combien ?
Elus de la
capitale, urbanistes et architectes et des milliers de Parisiens au dire
de
la Ville se sont prononcés sur les quatre coûteux projets des équipes
en
concurrence (les architectes français Mangin et Nouvel et les Hollandais
Koolhaas et Mass). Leur coût varierait d'au moins 1 à 4, de
200 à 600
millions d'euros. Tout le monde a son avis depuis que les maquettes ont été
exposées dans une salle du Forum des Halles. Mais on revient toujours à la
même question : quelle est l'ambition du projet ? Chaque partenaire
attend
que l'autre se dévoile, acculé par l'urgence.
Selon Jean-François Legaret, maire UMP du Ier arrondissement, «Christian
Sautter, l'adjoint aux finances du maire de Paris, a fait savoir en juin
que
la Ville n'avait pas l'intention de mettre un euro dans le projet».
Les
services de l'urbanisme de la Ville de Paris confirment que le centre «n'est
pas un secteur d'investissement prioritaire et que Christian Sautter préfère
investir en périphérie». Le Forum est aussi, à cause
du RER et du métro, la
première porte d'entrée dans la capitale, ses relations avec
les communes
d'Ile-de-France sont aussi en jeu dans l'affaire. Important au moment où la
Région reprend à l'Etat (en 2005) la gestion du syndicat des
transports
d'Ile-de-France qui délègue à la RATP l'exploitation
du métro et RER, très
impliqués dans le Forum.
Mais la Région Ile-de-France semble aussi jouer la montre :«On
n'a pas
l'intention de jouer les philanthropes puisque les premiers demandeurs sont
le promoteur et les commerçants au vu du diagnostic alarmant de la
partie
commerciale du Forum qui périclite», précise le service
chargé de la
politique de la Ville. Le problème de sécurité de la
RATP, rendu plus aigu
depuis l'attentat de Madrid, ne viendrait qu'en deuxième position.
En
troisième priorité, se poserait la question de la suppression
d'un des deux
tunnels routiers considérés comme très dangereux, enfin
celui de la sécurité
des personnes, en surface comme en sous-sol, au vu de l'importance du nombre
d'actes de délinquance.
Donc, le cahier des charges de ce qui est en train de passer du simple
relookage d'un centre commercial à une véritable opération
urbaine n'est pas
fixé, la clef de répartition des coûts entre les différents
partenaires
(Espace Expansion, Ville, Région, RATP) encore moins. Plus le problème
prend
de l'ampleur médiatique, et financière, plus la négociation
se fait rude.
Comme si chacune des parties jouait avec le temps pour faire craquer
l'autre.
L'espoir de décrocher des fonds européens ne comblera pas ce
qui s'annonce
comme un gouffre financier. Plus terre à terre, ce sont les mètres
carrés
commerciaux supplémentaires - Espace Expansion en réclame au
minimum 15 000
- qui sont la martingale du système. Une manne programmée finançant
travaux,
coûts de fermeture partielle du centre et sécurisation des accès
RATP ? Les
riverains redoutent cette nouvelle densification commerciale. Et un choix
stratégique d'urbanisme commercial, sujet aussi économique
que politique,
doit-il être laissé à l'appréciation des équipes
d'architectes ?
Certainement pas. Le maire de Paris, Bertrand Delanoë, qui semble si
attentif à la «démocratie participative», s'est
montré fort satisfait
d'«apprendre» dans une récente consultation auprès
des Parisiens qu'ils
réclament toujours plus d'espaces verts. Voilà donc un dossier
piégé dans la
perspective des prochaines municipales. Mal emmanchée et onéreuse
(1,4
million d'euros dépensés en deux ans), l'ensemble de la procédure
de
consultation et des différentes études engagées par
la SEM-Centre a eu le
mérite de poser les vraies questions. Mais sans savoir y répondre.
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Projets d'architecture : une méthode à risques
L. C.
Quand on interroge la SEM-Centre (détenue à 80% par la Ville
de Paris) sur
le budget de rénovation des Halles, on vous répond que c'est
trop tôt. Car
la méthode choisie pour faire travailler les architectes - le «marché de
définition» - ne permettrait pas à ce stade de dévoiler
les montants
financiers en jeu. Cela risquerait de rompre la confidentialité des
projets
des quatre équipes concurrentes.
Ce n'est pas tout à fait exact car rien n'aurait empêché la
Ville de fixer
une enveloppe au cours des précédentes phases d'études.
L'urbaniste, expert
du Code des marchés publics, auquel nous avons demandé son
avis n'a pas
souhaité être cité. Nous le regrettons mais l'écoutons
néanmoins quand il
qualifie la méthode de «casse-cou». La procédure
auprès des équipes
d'architecte chargées de sortir idées et programme aurait «manqué d'étapes»,
«ayant été dévoyée, elle risque le dérapage».
Il suffit d'ailleurs de se référer au site Internet (http :
//www.archi.fr/MIQCP/) de la mission interministérielle pour la qualité des
constructions publiques (MIQCP) du ministère de l'Equipement qui conseille
les collectivités locales sur la façon de mener les marchés
publics. Parmi
«Les dix dernières recommandations avant l'action» de la plaquette
consacrée
aux «marchés de définition simultanés»,
il est rappelé que «les équipes les
plus professionnelles ne pourront pallier les éventuelles insuffisances
du
projet «politique»». Il est aussi précisé «de
ne pas lancer les marchés de
définition sans avoir procédé aux études d'opportunité,
diagnostics
techniques, études de marché ou enquêtes sociales», «de
limiter le champ des
questionnements à l'essentiel», «procéder par étapes», «ne
pas se mettre en
situation de devoir juger, in fine, des esquisses de solution par trop
hétéroclites», «se méfier de l'image et
de ses séductions»... On a
l'impression que la SEM-Centre, chargée de mener ces travaux, en a
pris
l'exact contre-pied.
D'abord, la Ville a fait travailler très en amont des architectes
sans avoir
établi de programme, ni d'ailleurs de budget. Du coup, les équipes
ont
utilisé ce champ de liberté pour partir sur des pistes extrêmement
différentes. Leurs travaux auraient dû être recentrés
plus tôt.
Deuxième problème : la Ville avait demandé des idées
d'aménagement à des
équipes et cette méthode a abouti à des projets d'architecture.
Ce n'est pas
la procédure du marché de définition. Dès que
l'on passe du stade des idées
- pour lequel les équipes ont été payées - au
projet d'architecture avec
dessins et maquettes, on tombe dans le champ de la propriété intellectuelle
et artistique qui est très protégée. Si l'idée
du bazar présentée par un des
architectes était finalement reprise dans un autre projet, celui-ci
pourrait, par exemple, se retourner juridiquement pour faire valoir ses
droits. Risque de procédure coûteuse pour le maître d'ouvrage,
la Ville de
Paris.
Enfin, il est jugé fort risqué de présenter, à ce
stade, les travaux au
public et de les soumettre à la concertation populaire. C'est trop
tôt et ce
semblant de liberté offert aux Parisiens risque de déboucher
sur une
impasse. L'impossibilité de choisir. Le collectif Rénovation
des Halles qui
fédère toutes les associations de riverains et commerçants
annonce déjà
qu'il se lancera avec ardeur dans le pétitionnisme si son choix (le
projet
Mangin) n'était pas celui de M. le maire...
Ce serait donc parce que la procédure du «marché de définition»,
utilisé
avec succès en urbanisme, a été ici mal appliquée
que l'on arrive au constat
- généralement partagé - qu'aucun des quatre projets
architecturaux ne
semble faire l'affaire. Sans même qu'il soit besoin d'entrer dans des
considérations sur l'esthétique ou l'ambition des projets,
toujours un peu
subjectives.
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Jean Nouvel admet «la
difficulté de l'exercice»
L. C.
C'est la première fois que l'atelier Jean Nouvel
participe à un «marché de
définition», qui diffère donc du classique concours d'architecture.
L'architecte ne juge pas la procédure mauvaise, reconnaissant qu'elle
a le
mérite d'«impliquer des dialogues préalables, quand on
ne sait pas ce qui
doit être fait et qu'il y a un diagnostic à établir».
Cela permet d'intégrer
les bases d'une démarche commune. Mais, pour la suite, Jean Nouvel
ne juge
pas compatibles les stratégies choisies par les différents
architectes. Donc
le panachage des projets - certains en rêvent - semble peu réaliste.
Nouvel
reconnaît aussi «beaucoup de paramètres flous».
Du coup, il a présenté une
«stratégie variable», «puisqu'on ne sait ni combien
de commerces vont être
construits, ni quels seront les grands équipements publics prévus». «C'est
toute la difficulté de l'exercice», dit-il. Certes des «choses
claires» ont
été demandées aux architectes, comme par exemple les équipements
municipaux,
l'amélioration de la sécurité de la RATP ou la refonte
du jardin. Mais
d'autres «n'étaient pas claires» concernant les grands équipements
publics à
implanter sur le carreau des Halles (centre de l'image ou du design) et les
installations commerciales et hôtelières. «Ce qui est
en jeu, c'est la
requalification du quartier qui a une influence très importante sur
l'image
de Paris et son devenir : tout cela appelle des choix politiques.»