Le Figaro (11/12/04)
URBANISME La polémique entre les projets concurrents
pour la rénovation du
quartier du coeur de Paris
Halles : l'audace de l'inventivité
Mercredi prochain, la mairie de Paris choisira entre les projets de David
Mangin, Rem Koolhaas, Jean Nouvel et Winy Maas, pour le réaménagement
du
quartier des Halles. Un premier point de vue sur l'avenir de ce quartier.
Depuis plus de quatre siècles, Saint-Eustache, la vénérable église
des
Halles, a vu s'édifier des dizaines de bâtiments et d'oeuvres
d'art, tantôt
réussis et malencontreusement démolis, comme la célèbre «Danse
macabre» du
cimetière des innocents ou les pavillons Baltard, et largement critiqués,
comme le Forum des halles et son jardin d'aujourd'hui.
Le projet actuel de rénovation des Halles donne à la ville
de Paris la
chance insigne, en plein coeur de son bâti historique, de s'ouvrir
au XXIe
siècle et de renouveler l'image de cité vibrante et rayonnante
qui a fait
son prestige.
Quatre propositions sont en compétition. Il s'agit d'apprécier
la qualité et
la pertinence d'une solution urbaine. Dans ce contexte, certaines
associations se sont lancées bille en tête pour soutenir le
projet Mangin,
celui d'un toit géant qualifié de «carreau des Halles».
Malheureusement pour
lui, ce projet cumule des défauts. Pour le comprendre, il faut retrouver
les
enjeux fondamentaux et contradictoires auxquels la rénovation des
Halles
doit apporter une réponse durable : faire cohabiter au coeur de la
capitale
les habitants, les galeries commerçantes, une gare et la première
porte de
Paris.
Tout d'abord, il y a la question du rapport entre le centre-ville et la
périphérie. L'Ile-de-France se retrouve aux Halles, pour un
simple transit,
pour un rendez-vous ou pour des achats. Il y a tout à gagner à ce
qu'elle le
fasse dans les meilleures conditions et en harmonie avec les riverains. Or
le projet de David Mangin opère une ségrégation des
espaces avec, d'un côté
un grand trou qui doit absorber la foule de passage et, de l'autre, un
jardin inférieur en surface à deux autres projets (Rem Koolhaas
et Jean
Nouvel). Depuis son toit, l'accès n'est possible que par deux passerelles
centrales nécessairement étroites créant une boîte,
un piège ou le voyageur
et le passant seront avant tout des chalands forcés de faire des détours
dans un centre commercial. A l'heure où la ville de Paris cherche à
dissuader les habitants de la périphérie d'utiliser l'automobile,
il serait
cohérent de choisir un projet qui donne une priorité au confort
des usagers
des transports en commun, notamment par une mise en sécurité optimum
de la
salle d'échange du RER ainsi que par un accès aisé direct
au jardin.
Ensuite, il y a la question du débat esthétique : nous sommes
là à quelques
centaines de mètres de la colonnade du Louvre, de Notre-Dame, de la
pyramide
de Pei ou de Beaubourg. Même si le projet Mangin était corrigé,
on ne voit
pas comment le principe d'une grosse structure de deux hectares de toiture,
quasi-inaccessible au public en plein centre de Paris, serait une réponse à
la question architecturale posée.
Enfin il y a la question de l'élan, de l'image que Paris capitale
et les
Parisiens veulent donner d'eux-mêmes, aux Franciliens comme à tous
ceux qui
viennent dans l'une des villes phares du continent européen. Avons-nous,
avec modestie, certes, mais aussi avec la conscience de l'héritage
patrimonial et historique légué par nos prédécesseurs,
la volonté de laisser
une trace de l'inventivité et du talent de notre époque ? Avons-nous
baissé
les bras en nous contentant d'un simple toilettage sans ambition, au motif
que les gestionnaires du centre commercial ne réagissent que dans
une
logique de profit et n'entendent pas desserrer leur emprise sur le coeur
de
Paris ?
De Charles V à nos jours, Paris s'est toujours fait par une volonté
politique respectant son unité ; ce serait une rupture historique
si,
demain, un groupe privé dictait sa loi.
Les Halles méritent un effort, elles méritent qu'on prenne
un peu de
risques, tout comme le faisaient jadis ceux qui nous ont laissé la
présence
fidèle et rassurante de Saint-Eustache. Le projet des Halles peut être
un
témoin du savoir, de la culture et de la sensibilité contemporaine
de Paris.
* Texte signé par Paule CHAMPETIER, de l'association «Curiositas» ;
Serge
EZDRA, de l'association des Parents d'élèves du Conservatoire
du Centre ;
Olivier de MONICAULT, de «SOS-Paris» ; Gilles BEAUVAIS, de «Paris
des
Halles».