Le
Nouvel Observateur, Supplément « Paris-Ile-de-France » (24/10/2003)
Exit
les camions, on livre par wagons
Ce n’est pas
le jeu SimCity mais presque. Dans les bureaux de la Direction de la
voirie, une poignée de visionnaires jouent à inventer la ville de demain. «Et
si on supprimait les camions? Et si les livraisons des commerçants étaient
faites par métro? Et si les ordures ménagères étaient ramassées en
sous-sol?» Ce n’est plus du rêve d’illuminé écolo, pas encore des projets,
mais des réflexions sérieuses, à échéance quinze ou vingt ans. «Après
tout, il n’y a aucune raison que les passagers voyagent en souterrain
et les marchandises dans la rue. L’inverse serait plus agréable pour
tout le monde», explique posément Christophe Ripert, chargé de réfléchir
aux transports des marchandises en ville. Enfouir le trafic
marchand en sous-sol, l’enjeu est de taille: 32millions de tonnes de
marchandises entrent dans Paris chaque année. Essentiellement par camion
diesel. «Encombrants, bruyants, polluants», diagnostiquent tous
les services concernés. Airparif estime qu’à l’horizon 2015 ils deviendront
la première source de pollution en émettant 68% des NOx et 49% des
particules issues du trafic routier. La solution? Le fret par le rail,
le métro ou le bateau, en tout cas tout sauf le diesel. Un train de
marchandises qui arrive aux Batignolles, c’est 50camions de moins qui
franchissent les portes de Paris. Le Plan de déplacement urbain d’Ile-de-France
fixe comme une priorité la diminution de la circulation des poids lourds.
Plusieurs villes européennes, comme Barcelone ou Strasbourg, tentent
aussi d’imaginer un quotidien sans camions et camionnettes. Alors, à l’occasion
de grands travaux comme le prolongement de la ligne Eole jusqu’à Haussmann-Saint-Lazare
ou la restructuration des Halles, les imaginations s’enflamment. Une étude
sur la livraison des grands magasins (Fnac, Galeries Lafayette, Printemps)
par RER à la nouvelle gare d’Haussmann a buté sur l’absence de monte-charge
suffisant. Du coup, les équipes d’architectes retenues pour le projet
des Halles ont été sensibilisées au ferroutage. Idéales, les Halles:
reliées directement par rail aux gros centres de chalandise que sont
Garonor (RERB) et Rungis (RERD), elles sont à l’interconnexion de 5lignes
de métro. Et avec 100000 m2 en cours de réaménagement, l’occasion est
trop belle. Les associations de riverains du quartier des Halles se
sentent pousser des ailes: «Livrer les marchandises en métro, c’est
une vieille idée à nous, raconte Gilles Pourbaix, de l’association
Accomplir. A certaines heures, on se demande si on est bien dans
un quartier piétonnier tellement l’espace est envahi de véhicules.
Des magasins se font livrer plusieurs fois par jour parce qu’ils consacrent
tout leur espace à la vente et n’ont nulle part où stocker. McDo apporte
deux clayettes de hamburgers avec un semi-remorque.» La Ville de
Paris a embauché deux chargés de mission spécialistes du fret. «Le
premier projet, explique Christophe Ripert, concerne le quartier
: un quadrilatère qui va de la rue du Louvre au boulevard de Sébastopol,
et de la rue de Rivoli à la rue Réaumur. Toutes les marchandises arriveraient
en sous-sol par train. Les RER transporteraient des passagers le jour
et du fret la nuit. Une fois déchargés, les containers seraient remontés
dans une zone de stockage intermédiaire et la marchandise livrée en
surface par des véhicules propres. Cela supprime tout le trafic entrant
et sortant. Et on pourrait réduire encore la circulation de surface
en utilisant le tunnel qui dessert le Forum et le Pont-Neuf comme voie
de livraison pour l’ensemble commerçant de la Samaritaine, BHV, etc.» Au
passage, le tunnel des Halles serait fermé à la circulation (voir
ci-dessus). Le deuxième
projet concerne tout Paris. Il prévoit des «zones logistiques de fret» où les
marchandises arriveraient par train avant d’être reventilées par métro
ou par véhicules propres. Où placer ces têtes de pont? Dans les grandes
emprises que la SNCF est en train de vendre et qui sont déjà équipées
de voies ferrées: les Batignolles au nord-ouest, la Zac Evangile au
nord, Bercy à l’est et les Gobelins au sud. La SNCF et sa filiale de
transport Geodis surfent avec gourmandise sur ces perspectives de développement. «Nous
cherchons à développer des modèles de transport de fret par rail combiné avec
des véhicules GNV [gaz naturel de ville]. Des prototypes de
véhicules sont en cours», raconte Christian Abellan, de la SNCF.
Du TGV-fret au train-tram dont le nom et le design sont déjà déposés à l’INPI,
les ingénieurs de la SNCF turbinent. «Et pourquoi pas adapter Orlyval
au transport rapide de fret?», rêve Christian Abellan. La RATP,
elle, fait la sourde oreille. Transporter des passagers, oui, du fret,
non. Et pour l’instant elle se tient à l’écart des groupes de réflexion. Car la réduction
du trafic marchand dans Paris concerne aussi la Seine. Pour l’instant,
la vingtaine de «ports urbains» de Paris est très sous-utilisée: il
n’entre que 2millions de tonnes de fret par voie fluviale, dont 99%
de sable et ciment. Le port des magasins d’Austerlitz est désaffecté.
Ceux de Javel, des Champs-Elysées, de la tour Eiffel, de Tolbiac fonctionnent à peine. Chronopost est
la première entreprise à s’emparer de la Seine comme voie de livraison
de son fret express. «L’expérimentation commence début 2004», annonce
Pascal Triolé. A partir de son agence de Bercy, les plis seront acheminés
par vedette vers différentes plates-formes aménagées sur les quais
et confiés à des voitures électriques pour livrer les arrondissements
de bords de Seine.
Catherine Erhel
|