La Croix (16/12/04)
URBANISME
Pour les Halles, Paris fait le choix du « réalisme ».
Le maire de Paris a
choisi le projet de David Mangin, mais son plafond de verre sera remplacé
par une « oeuvre d'art » soumise à un concours international.
.
Paru le: jeudi 16/12/2004
Le coeur de Paris ressemblera donc à celui imaginé par l'architecte
David
Mangin (voir photo dans La Croix d'hier), et cela bien avant 2012 (la date
des Jeux olympiques), selon le maire de la capitale. Et en même temps,
il
n'y ressemblera pas tout à fait... Car si Bertrand Delanoë a
désigné hier le
vainqueur des quatre projets en lice pour le réaménagement
des Halles, il a
en même temps limité l'empreinte architecturale de David Mangin
sur l'avenir
de ce quartier. Ce dernier devient le « coordinateur » d'un projet
choisi, a
expliqué le maire, pour sa plus grande « pertinence »,
pour son «
intelligence » et pour sa dimension « réaliste ».
Pour Bertrand Delanoë, un
des grands mérites de David Mangin est de replacer le « ventre » de
Paris
dans son environnement en créant un lien avec les autres quartiers.
D'où le choix de la vaste perspective d'un jardin classique organisé le
long
d'un grand axe central. Un jardin d'un seul tenant qui doit devenir, selon
les mots du maire, un « écrin » pour l'église Saint-Eustache
ou la Bourse de
commerce, mais aussi pour les oeuvres d'art à venir. Car si Mangin
s'est
aussitôt déclaré ravi d'avoir été élu,
on ne peut nier que c'est surtout sa
vision urbanistique qui a été choisie plutôt que ses
talents d'architecte.
En effet, l'élément architectural le plus symbolique de son
projet était ce
« carreau », toit de verre et de cuivre, que Mangin avait imaginé couvrir
le
centre commercial. Or Bertrand Delanoë a annoncé l'ouverture
d'un concours
auprès des « plus grands concepteurs mondiaux » pour sa
réalisation. Un
concours pour offrir à Paris une « oeuvre d'art du XXIe siècle,
légère et
lumineuse ».
Injustice manifeste envers David Mangin, on avait donc un peu l'impression
dans la salle d'un choix par défaut. Le maire UMP du 1er arrondissement
(celui des Halles) avait d'ailleurs beau jeu d'ironiser sur « une énorme
supercherie », sur une manière de ne pas avouer qu'on n'a pas
pu choisir
parmi quatre projets irréalisables parce que surdimensionnés.
Du reste, un
élu PS de la capitale reconnaissait que « s'il avait fallu six mois
supplémentaires pour prendre une décision, c'est bien parce
qu'aucun des
quatre projets ne suscitait vraiment l'enthousiasme ». Et que ceux
qui
séduisaient vraiment le maire n'étaient guère réalisables...
ou du moins
acceptables par les riverains.
La décision de Bertrand Delanoë sera soumise en février
au vote du conseil
de Paris mais ne devrait pas poser de problème à l'équipe
municipale. Car le
projet Mangin a aussi l'immense avantage de réunir pratiquement tous
les
suffrages. Ceux de la RATP et des commerçants, ceux des financiers
de la
ville aussi car ce projet est le moins cher de tous. David Mangin l'a estimé
à 200 millions d'euros. Il satisfait les Verts ; Yves Contassot, adjoint
chargé de l'environnement, s'est ainsi félicité de l'« impact
environnemental le plus limité ». Mais les plus heureux restent
sans doute
les riverains qui manifestaient leur joie à la sortie de l'hôtel
de ville. «
C'est un grand jour pour le coeur de Paris », s'exclamait, ravie, Élisabeth
Bourguignat, de l'association Accomplir. L'avenir du projet passera par la
création d'une ZAC avant le lancement du concours international. Dans
le
meilleur des cas, les travaux ne commenceraient que fin 2006 ou début
2007.
Le feuilleton des Halles n'est donc pas prêt de se terminer.
MICHEL WAINTROP
Urbanité
Le Commentaire par Guillaume Goubert.
Bertrand Delanoë a pris le parti de la prudence
pour le réaménagement du Forum des Halles.
Paru le: jeudi 16/12/2004
Faut-il le lui reprocher ? La liberté de choix du maire de Paris aurait été
certainement beaucoup plus grande s'il ne s'agissait, dans cette affaire,
de
rectifier quelques-unes des erreurs les plus criantes du Forum actuel, qui
a
moins de 30 ans. La destruction des halles de Victor Baltard, chef-d'oeuvre
d'architecture métallique de la seconde moitié du XIXe siècle,
fut une
erreur majeure. Hélas, la France des années Pompidou confondait
modernité et
table rase. Le souvenir de ce gâchis pèse encore aujourd'hui
sur les
esprits, d'autant plus que la démolition fut suivie d'un interminable
chantier et d'un résultat aussi hétéroclite qu'inesthétique.
Le droit à l'erreur n'existe pas lorsqu'il s'agit d'introduire de
l'architecture contemporaine dans un tissu urbain aussi chargé d'histoire
que celui de Paris. Cela ne veut pas dire que c'est impossible ou que
l'architecte est condamné à la discrétion. La réussite
de la « piazza »
devant le Centre Georges-Pompidou, conçu à la même époque
par Piano et
Rogers, montre qu'une certaine « brutalité » architecturale
peut trouver sa
place au coeur d'un quartier ancien. Mais aux Halles, le poids de l'échec
était trop récent pour autoriser, d'emblée, une aventure
architecturale
aussi audacieuse que celle proposée par Rem Koolhaas.
Le projet Mangin a de grandes qualités d'urbanité, si l'on
ose dire. Il
s'appuie sur l'existant, il le dépouille de ses incohérences
et des
abominables « parapluies » qui bordent actuellement le centre
commercial. Il
unifie un vaste jardin et propose de réhabiliter - enfin - l'étonnant
bâtiment de la Bourse de commerce, bêtement sous-utilisé depuis
des
décennies. En revanche, l'architecture, à la fois massive et
banale, de
l'immense toit placé au-dessus du Forum n'apparaissait guère
convaincante.
C'est là que la mairie de Paris, dans la décision annoncée
hier, a joué
finement. La tentation a sans doute existé d'un mariage forcé entre
les
projets Mangin et Koolhaas. Heureusement, cette solution de facilité qui
n'aurait satisfait personne a été écartée. Le
projet Mangin a été retenu
pour ce qu'il a de bon (son approche urbaine), tandis qu'un nouveau concours
architectural a été annoncé pour le toit du centre commercial.
Peut-être
ainsi parviendra-t-on à trouver un point d'équilibre entre
le respect de
l'histoire de la ville, le confort des usagers et la dose d'audace
nécessaire pour montrer que Paris, loin de se résigner à devenir
une ville
musée, regarde vers l'avenir.