AFP (11/12/04)

 

Décision mercredi pour les Halles, ventre de Paris à réinventer

idfparis (AFP), 11/12/2004  
 

Les Halles de Paris connaîtront mercredi une nouvelle phase de leur histoire
chahutée avec l'annonce par Bertrand Delanoë du choix d'un projet
d'urbanisme à même d'en bouleverser le visage.

Le maire de la capitale a gardé le secret sur sa ou ses préférences entre
les quatre propositions architecturales en lice. Une surprise ne peut être
exclue.

Cependant, à quelques jours de la décision, le choix semblait se porter sur
le Français David Mangin ("toit géant"), talonné par le Néerlandais Rem
Koolhaas ("émergences colorées").

Un choix entre raison (Mangin) et coeur (Koolhaas), entre "classique" et
"baroque", commentait un proche du dossier.

Les deux autres projets sont signés du Français Jean Nouvel ("prairie
suspendue") et du Néerlandais Winy Maas ("vitrail vertical"). Ce dernier,
dont le plan est impraticable techniquement, paraît hors course. Par
ailleurs, dans l'entourage de Jean Nouvel, l'optimisme n'était pas de mise.

Les adjoints au maire sont partagés, y compris au sein d'un parti. Yves
Contassot (Verts, Environnement) défend "par défaut" Mangin. Christophe
Girard (Verts, Culture) adhère au "grand geste architectural" de Koolhaas.

Egale division des riverains, même si les pro-Mangin ont été les plus
actifs.

Le maire, qui s'exprimera après une réunion décisive de la commission
d'appel d'offres (où les socialistes sont majoritaires), expliquera ce qu'il
veut pour les Halles.

Coeur et ex-ventre de Paris, cet espace compliqué, traumatisé par la
destruction des pavillons Baltard dans les années 70, collectionne les
records : plus grande gare d'Europe (800.000 passagers/jour), plus grand
centre commercial de Paris, plus grande Fnac du monde, plus grand complexe
cinématographique européen...

Mais dans ce qui fut jadis le royaume des bouchers et maraîchers, la fripe a
détrôné la tripe. H&M, Gap, Zara...les grandes enseignes tiennent le haut du
forum.

"Tout commence"

Selon des proches du dossier, M. Delanoë pourrait annoncer "c'est X, mais
son projet doit être revu" ou "c'est X, mais il devra travailler avec Y".

Certains imaginent que le maire pourrait reporter sa décision, par exemple
après celle du Comité international olympique sur les Jeux de 2012, le 6
juillet 2005.

"On proclamera un nom d'architecte, mais il sera avant tout un
coordinateur", affirme une source municipale.

En octobre, l'adjoint à l'Urbanisme Jean-Pierre Caffet avait dit que le
marché de maîtrise d'oeuvre pourrait aller à "un ou deux des candidats".

A la SEM-centre, qui a piloté le dossier, on estime que le projet final aura
peu à voir avec les maquettes présentées au public."Tout commence le 15
décembre", lance Alain Le Garrec (PS), président de cette société d'économie
mixte.

Les quatre équipes avaient été choisies en avril parmi 32 ayant répondu à un
appel d'offres européen ("marché de définitions", très flexible). En
octobre, elles avaient rendu une version revue à la baisse.

Pour ce lieu stratégique, les débats ont fait rage. Pas facile de combiner
les demandes "a minima" des riverains, la continuité des métros et RER,
l'hostilité des alliés Verts du maire à toute densification, les nécessités
commerciales,... Unibail, puissant gestionnaire de la zone commerciale, a
fait valoir que ce devait être Mangin ou "la guerre", relève-t-on à la
SEM-Centre.

Aucun projet n'a fait l'unanimité. "Je suis déçu", dit Jean-François
Legaret, maire UMP du Ier, pour qui tous les plans manquent de vision. Mais
pour Christophe Girard, "ce sera toujours mieux qu'avant".

 

 

Devenues le symbole infortuné de l'urbanisme des années 1970, les Halles, dont le maire de Paris Bertrand Delanoë va lancer le réaménagement mercredi, ont déjà connu bien des avatars.

L'histoire mouvementée de ce vaste ensemble de 33 hectares commence en 1135, lorsque Louis VI décide de déplacer le marché central de la place de Grève -aujourd'hui place de l'Hôtel de ville- au lieu-dit "les Champeaux", dans le quartier actuel des Halles.

C'était alors la campagne marécageuse. Au fil des années, le marché est enserré de constructions et sillonné de rues: Montorgueil, Quincampoix, du Jour, de l'Arbre sec... Au 18ème siècle, les Halles commencent à s'engorger. En 1789, le cimetière des Innocents est à son tour aménagé en marché aux fleurs, fruits et légumes.

Des problèmes d'hygiène et de circulation surgissent. Un concours d'architecte est lancé en 1848. Il sera remporté par Victor Baltard : dix pavillons aux parois de verre et aux colonnettes en fonte, construits de 1852 à 1870, les deux derniers en 1936.

Croissance des besoins, saturation, rationalisation des circuits : en 1963, le transfert est décidé.

Le 27 février 1969, après huit siècles d'existence, le "ventre de Paris" et ses marchés de gros déménagent à Rungis pour les fruits et légumes et à La Villette pour la viande (qui rejoindra plus tard Rungis). Les Parisiens assistent avec tristesse à la disparition de ce quartier pittoresque à l'atmosphère unique, immortalisée par Zola.

Point final du transfert, les pavillons du Second Empire sont détruits en août 1971, ouvrant le gigantesque et durable "trou" boueux où sera tourné une manière de western, "Touche pas à la femme blanche" de Marco Ferreri.

En 1974, Valéry Giscard d'Estaing, élu président, décide l'abandon d'un projet de centre de commerce international au profit d'un "grand jardin à la française". La RATP construit une immense gare, où convergent RER et métros.

En 1978, Jacques Chirac, élu maire de Paris, se proclame "architecte en chef" et abandonne un projet de l'Espagnol Ricardo Bofill. La dernière tranche des travaux du forum, construit sur quatre niveaux souterrains, sera achevée en 1985. Les jardins, au pied de l'église Saint-Eustache, seront ouverts au public un an plus tard.

Mais les Halles ont mal vieilli, esthétiquement et fonctionnellement.

En juin 2003, Bertrand Delanoë lance leur "rénovation". Il choisit une procédure de "marché de définition", pour laisser toutes les options ouvertes, estimant qu'il faut "prendre des risques".

En avril 2004, quatre équipes d'architectes (Mangin, Koolhaas, Nouvel, Maas) présentent des plans et maquettes, révisées à la baisse dans une deuxième phase.

Prévue d'abord en juin, puis repoussée à l'automne, la décision doit être rendue publique le 15 décembre. 

 

Les Halles : un réaménagement impératif

Les Halles, trente ans après leur mue, sont victimes d'erreurs urbanistiques, de dysfonctionnements et d'un vieillissement précoce, qui rendent impérative une intervention sur ce site.

Parmi les problèmes appelant une solution rapide :

- Les pavillons imaginés par l'architecte Jean Willerval ("parapluies"), outre leur dessin contesté dès l'origine et très daté, sont attaqués par la corrosion. Leurs recoins sont inadaptés à un des sites les plus passants de Paris (sécurité, déchets, urine...). Leur entretien est difficile et coûteux. Leurs terrasses présentent des problèmes d'étanchéité. Ils abritent des équipements pour lesquels ils n'étaient pas faits (conservatoire dans ce qui devait être une serre...)

- Les accès aux transports collectifs sont insuffisants. L'essentiel des passages se fait par un escalier roulant unique, très "anxiogène", pris d'assaut aux heures de pointe.

- La salle des échanges de la gare RER est malcommode: il est difficile de s'y orienter, avec des correspondances (3 RER, 5 métros) complexes. Les conditions d'évacuation doivent être mises aux normes, comme le désenfumage. L'accessibilité aux personnes handicapées, âgées ou avec enfants est à revoir.

- Morcelé, le jardin offre des cheminements compliqués, barrés par le "cratère" du premier forum. Il n'offre que 44% de surface végétalisée praticable. L'état phytosanitaire de certains arbres est médiocre. Des problèmes d'étanchéité se posent entre dalle et sous-sol.

- Le nouveau Forum est totalement détaché de la vie du quartier.

- Les accès et sorties des voies souterraines - par ailleurs sous-utilisées - sont autant d'obstacles pour les piétons et vélos.

 

 

 

Le Forum des Halles, premier centre commercial de centre-ville en France

Tiré par la gigantesque Fnac Forum, son magasin "star", le Forum des Halles est aujourd'hui avec ses 160 boutiques sur cinq niveaux le premier centre commercial de centre-ville en France.

Le Forum abrite de nombreuses autres enseignes "locomotives" comme H&M, Etam, Mango, Esprit, Habitat, Go Sport, Bodum ou Sephora, ainsi que 26 salles de cinéma et une vingtaine de restaurants.

Il génère au total 3.000 emplois et représente pour les commerçants 475 millions d'euros de chiffre d'affaires, dont plus d'un tiers pour la Fnac.

Pour plusieurs des enseignes présentes, le Forum constitue leur vaisseau-amiral: la Fnac Forum est la plus grande au monde, le magasin H&M est le premier en France et l'UGC Ciné-Cité est le premier multiplexe d'Europe, a souligné le propriétaire du Forum, la société Espace Expansion.

Le Forum accueille chaque année 41 millions de visiteurs par an, principalement des jeunes (âge moyen: 29 ans), qui viennent pour un tiers de Paris même et pour deux, tiers de banlieue. 44% des visiteurs fréquentent la Fnac.

Par secteur d'activité, 35% des boutiques sont dédiées à l'équipement de la personne (prêt-à-porter, chaussures, accessoires...), 44% aux loisirs, cadeaux et culture, 11% à l'équipement de la maison, 5% à la restauration, 4% au secteur beauté-santé et 1% aux services.

Espace Expansion, filiale d'Unibail, numéro un français de l'immobilier commercial, a acquis le Forum des Halles en 1994 et a investi 40 millions d'euros ces 10 dernières années pour rénover ses espaces commerciaux, redécorés depuis de rouge et de vert. Auparavant, dans les années 80, le Forum vieillissant avait traversé une mauvaise passe.

Paris intra-muros compte plusieurs autres centres commerciaux plus petits comme Bercy Village, Beaugrenelle et le Carrousel du Louvre.

 

Quatre projets pour redessiner les Halles de Paris

Voici les quatre projets en lice pour le réaménagement des Halles de Paris, signés de deux équipes françaises, Nouvel et Mangin, et deux néerlandaises, Koolhaas et Maas:
- REM KOOLHAAS (Agence OMA, Office for Metropolitan Architecture) : Prix Pritzker 2000, il est le chantre d'une "urbanité verte". Son but: relier le "monde souterrain" et le jardin. Il le fait par un "canyon" à ciel ouvert sur lequel donne la salle des échanges RATP. Il sème le site d'"émergences", "derricks" colorés et translucides, éclairés la nuit et dont le nombre peut varier de 6 à 21 selon la densité voulue. Hauteur maximum: 37 mètres. Le plus grand doit abriter une cité de la mode et du design, les autre des bureaux, magasins ou institutions. Ils plongent leurs racines à des niveaux inférieurs du forum. Le jardin s'organise en cercles accueillant des publics ciblés (enfants, ados...). Architecture "contemporaine, ludique et colorée, correspondant au public jeune et métissé du site", selon la SEM-Centre.
- DAVID MANGIN (Agence SEURA, Société d'Etudes Urbanisme et Architecture) : "un toit dans un jardin": Mangin combine un toit de deux hectares (grand comme la Place des Vosges) de 9 mètres de haut et 145 mètres de côté et un jardin de 4 hectares fait d'"atolls" et divisé par des "ramblas", large avenue reliant ce nouveau "carreau des Halles" et la Bourse du Commerce. Celle-ci a vocation à accueillir l'Université de tous les savoirs, une cité du design, un restaurant panoramique. Le toit géant est fait de caissons couverts de cuivre patiné, vitrés ou ajourés. Il crée un "passage couvert" du XXIème siècle, à la fois halle de gare, promenade et galerie commerciale. "Respect d'éléments existants, distinction forte entre l'espace public du jardin et des pôles d'activités" selon la SEM-Centre.
- JEAN NOUVEL (AJN, Agence Jean Nouvel) : le père de l'Institut du Monde Arabe propose d'accroître la surface des jardins par des terrasses, notamment une prairie suspendue, surmontant un nouveau Carreau plafonnant à à 27 mètres de haut, tutoyant Saint-Eustache et accueillant une piscine à ciel ouvert. Le jardin accueille de nouveaux alignements d'arbres et est bordé par des constructions nouvelles. Le carreau se veut place couverte, au plafond de miroirs programmables. Un bâtiment de bois abrite le Conservatoire.
- WINY MAAS (agence MRDV) - Avec son projet de "vitrail", il veut faire entrer la lumière dans les espaces souterrains rénovés, "les ouvrir au maximum" en remplaçant le sol par des plaques transparentes ou translucides d'où on pourra "regarder le monde en bas". Les dalles colorées, qui occuperont 40% de la surface, alterneront avec des jardins, comme un "dance floor". Ce projet est considéré généralement comme irréalisable, et n'a que très peu de chances d'être retenu.