« Ambitieux et réaliste. » C’est par
les mêmes termes que Bertrand Delanoë, le maire
de Paris, et Léon Bressler, patron du Forum via sa filiale
Unibail dont il est le PDG, définissent le projet de
David Mangin retenu par la Commission d’appel d’offres
(CAO) pour le réaménagement des Halles. Preuve
que la Mairie et le principal trésorier payeur de l’opération
s’entendent au moins sur les objectifs. Réaliste
le projet de Mangin ? Sans doute. Ambitieux ? Cela dépend
de la fonction que l’on prête à l’architecture
dans la réinvention d’un lieu aussi chargé symboliquement
et affectivement que le cœur de Paris. Car ce que beaucoup
attendaient de Bertrand Delanoë pour sa première
grande décision d’aménagement, c’est
qu’il donne le « la » de sa partition pour
la capitale, sa vision d’une « ville en mouvement ».
En guise de « la », les Parisiens ont eu droit à un « do » mineur.
Confite dans la dévotion à son patrimoine architectural,
Paris est, il est vrai, une ville qui n’ose plus depuis longtemps.
Au sein de l’équipe municipale, certains Verts militent
exclusivement pour les espaces verts, la défense du bâti
et des matériaux nobles – de la pierre, pas du béton
! – mais passent complètement à côté des
technologies modernes liées au développement durable.
Et à l’invention de formes contemporaines adaptées à ces
exigences. De ce point de vue, on attendait un signal fort. Ancré dans
les formes et les matières du XXI e siècle. Que d’Halles
!
Après des mois de consultations techniques et de crépages
de chignon par tribunes de presse interposées, la CAO a accouché d’un
toit. Ou plutôt d’un non-toit. Car si c’est bien
le concept de David Mangin qui a été retenu, celui-ci
pilotera mais ne construira rien. Ou si peu. Le Carreau, cette fameuse
couverture plus ou moins translucide de 2 hectares (la surface de la
place des Vosges) qui coiffera le Forum, est retoqué. « C’est
la première fois qu’on désigne un architecte pour
qu’il ne fasse pas son projet » , a beau jeu d’ironiser
Jean-François Legaret, maire UMP du 1 er arrondissement. David
Mangin, plus réputé pour ses qualités d’urbaniste
et d’enseignant – sa dénonciation de la privatisation
de l’espace public fait de lui un théoricien attentif
de la ville – que pour ses constructions, n’y voit, lui,
aucun inconvénient. Et entend bien négocier pied à pied
un rôle des plus actifs.
A ceux qui lui reprochent un arbitrage timoré, le maire laisse
entendre qu’il a tranché pour la douceur contre la mode
qui brutalise les habitudes, pour la démocratie locale contre
les bobos, ces intellos qu’il aurait tendance à trop
choyer et qui se rangeaient unanimes derrière le projet de
Rem Koolhaas. Emblématique de cette bataille rangée
: la conférence donnée le 23 novembre par l’architecte
hollandais dans un amphi bourré à craquer, où ses
supporters en faisaient des tonnes dans la commisération à l’égard
du projet Mangin.
La vérité, c’est que le maire avance en crabe dans
un dossier où les études techniques et les coûts
réels sont plus supposés que connus. De ce point de vue,
Koolhaas comme Nouvel semblaient plus chers. Et tant pis si les solutions
qu’ils apportaient sur la gestion des flux entre surface et sous-sol étaient
plus novatrices. Tant pis aussi si la SEM Centre, qui a organisé la
consultation et préconisé Koolhaas, est désavouée.
Ce dernier s’est déjà consolé en emportant
deux grands projets à Londres et à Rome.
Delanoë et ses équipes avaient prévenu : aucune
des maquettes présentées ne seraient réalisées
telles quelles. Et là, il a tenu parole. Le projet Mangin ne
verra pas le jour à l’identique. Sa maquette n’indique
qu’un plan masse et des options : un grand jardin de plain-pied
mais qui sera repensé par un architecte paysagiste avec l’appui
d’artistes, de designers et de metteurs en lumière, et
un toit couvrant le Forum, qui fera l’objet d’un grand
concours international d’architecture. Quelle forme, quelle hauteur
et quelle dimension aura-t-il ? Mystère. Il n’existe aujourd’hui
aucun ouvrage au monde d’une telle surface, à part des
aérogares ou des hypermarchés. On sait seulement que
le maire le souhaite « léger, harmonieux, lumineux » .
Sûr que le contraire serait embêtant.
La procédure a cependant un avantage immense : décaler
la désignation d’un grand architecte international après
le 6 juillet 2005, jour de l’annonce de la ville lauréate
pour les jeux Olympiques de 2012. Si Paris l’emporte, le maire
aura les coudées franches pour imposer un choix peut-être
plus audacieux que les pistes indiquées aujourd’hui. Si
ce n’était pas le cas, il se verrait dans l’obligation – faute
de moyens – de remballer nombre de ses projets de développement
pour la capitale. Une hypothèse qui ne serait pas de bon augure
pour les Halles.
Gérard Muteau |